L’Union européenne prévoit d’allouer €800 milliards ($866 milliards) sur quatre ans pour renforcer ses capacités militaires, une initiative sans précédent qui ravive les tensions autour des métaux stratégiques. Ce plan, présenté par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, autorise les États membres à augmenter leurs budgets de défense jusqu’à 1,5 % de leur produit intérieur brut, tout en leur donnant accès à un mécanisme de prêt commun de €150 milliards pour des achats groupés.
Montée en puissance des besoins industriels
Les équipements militaires modernes intègrent une variété de matières critiques comme les terres rares, le tungstène, le gallium ou le cobalt, indispensables à la fabrication de moteurs à réaction, de systèmes radar ou de munitions intelligentes. Bien que les volumes nécessaires restent modestes, leur caractère irremplaçable et la concentration géographique de leur production posent des risques majeurs. La Chine contrôle aujourd’hui une part significative de l’extraction et du raffinage de ces ressources, ce qui renforce la vulnérabilité stratégique de l’Europe.
NATO (Organisation du traité de l’Atlantique nord) a publié une liste de 12 matériaux jugés essentiels à sa supériorité technologique et opérationnelle. L’Union européenne et les États-Unis ont également établi des classifications similaires, visant à orienter les stratégies d’approvisionnement et à encourager la coopération industrielle sur le continent.
Dépendances critiques et limites de production
L’offensive russe en Ukraine a mis en lumière les délais prolongés pour la production de composants militaires clés, notamment les munitions, selon Benedetta Girardi, analyste stratégique au Hague Centre for Strategic Studies. « La disponibilité immédiate des matières premières n’est pas le problème principal. Ce sont plutôt les faibles capacités industrielles européennes et les longs délais d’importation qui posent problème », a-t-elle indiqué dans un message adressé à S&P Global Commodity Insights.
À moyen terme, les préoccupations se déplacent vers la sécurisation des chaînes d’approvisionnement face aux risques géopolitiques. Les récentes restrictions chinoises sur l’exportation de graphite, germanium, gallium, indium et autres métaux rares ont intensifié les inquiétudes européennes.
Compétition intersectorielle pour les ressources
La réponse européenne passe notamment par le règlement sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act), visant à relocaliser certaines capacités d’extraction, de transformation et de recyclage. Toutefois, les délais de mise en œuvre et les obstacles financiers limitent l’impact à court terme.
Selon S&P Market Intelligence, le marché mondial du carbonate de lithium devrait enregistrer un déficit de 416 000 tonnes d’ici 2035, tandis que l’offre de cobalt raffiné manquera d’environ 3 000 tonnes. Ces pénuries potentielles affectent simultanément la défense, mais aussi les secteurs de l’énergie, de l’automobile, du médical et des technologies de l’information.
« Les métaux comme le lithium, le gallium et le germanium sont déjà en forte tension, et les besoins de la défense ne peuvent être isolés des autres usages industriels », a déclaré Girardi. Cette convergence de la demande renforce les défis pour les décideurs européens en quête de souveraineté stratégique.