Les solutions de captage et retrait du dioxyde de carbone (CO₂), longtemps restées confinées aux laboratoires ou à des démonstrateurs isolés, s’installent désormais au cœur des stratégies industrielles et réglementaires de plusieurs puissances économiques. États-Unis, Union européenne, Royaume-Uni, Danemark, Arabie saoudite et Brésil multiplient les investissements et les programmes visant à structurer une chaîne de valeur autour de ces technologies, dont les volumes actuels restent cependant bien inférieurs aux trajectoires attendues pour respecter les accords climatiques internationaux.
Les États-Unis et l’Europe accélèrent leurs projets pilotes
Les États-Unis se positionnent en tête sur les technologies BECCS (bioénergie avec captage et stockage du carbone) appliquées à l’éthanol, avec plusieurs projets visant une capacité de plus de 13 MtCO₂/an capturés à horizon 2028. En parallèle, le gouvernement fédéral soutient le développement du captage direct dans l’air (DACCS) à travers des financements et des incitations fiscales, bien que des incertitudes persistent sur la pérennité des subventions. En Europe, l’Union européenne et le Royaume-Uni préparent leurs propres méthodologies pour intégrer biochar, DACCS et BECCS dans les systèmes de quotas carbone (EU ETS, UK ETS), avec une mise en œuvre ciblée à partir de 2026.
La structuration juridique et les hubs de stockage comme verrou stratégique
Les hubs de transport et de stockage du CO₂ situés en mer du Nord, dans le Golfe du Mexique et en Arabie saoudite deviennent des actifs géostratégiques pour attirer projets et financements. Cependant, l’absence d’un cadre juridique standardisé freine les décisions d’investissement. Les questions liées aux droits sur le CO₂ stocké, à la responsabilité sur le long terme et à la validité contractuelle des crédits de retrait sur 10 à 20 ans sont identifiées comme des obstacles majeurs.
Biochar et incinération avec captage en tête des options bancables
À court terme, seules quelques technologies offrent un profil de coût compatible avec les prix actuels du carbone sur les marchés de conformité. Le biochar, dérivé de résidus agricoles ou forestiers, présente un coût de retrait compris entre 100 et 250 $/tCO₂, tandis que les projets WECCS (incinération de déchets avec captage) pourraient s’intégrer aux systèmes existants, notamment au Royaume-Uni et en Scandinavie. Les projets DACCS, bien que politiquement soutenus, restent encore trop onéreux pour s’insérer sans subventions importantes.
Vers une dualité de prix et une gouvernance renforcée
Les scénarios pour l’Union européenne à l’horizon 2040 montrent que l’intégration contrôlée de crédits négatifs permettrait de réduire significativement le coût global de la conformité, avec une économie potentielle de 37 Md€/an. Toutefois, les acteurs insistent sur la nécessité de compartimenter les types de crédits et de créer un second signal prix pour les retraits durables, plus rare et plus coûteux.
Impact sectoriel et montée d’un nouveau modèle économique
Les filières biochar et BECCS transforment certains segments agricoles et industriels. Le Brésil, l’Indonésie et l’Afrique de l’Ouest apparaissent comme fournisseurs potentiels de crédits carbone de qualité grâce à leur disponibilité en biomasse. Parallèlement, utilities, majors et développeurs s’orientent vers des modèles d’infrastructure “as a service” combinant transport, stockage et vérification des crédits.
Un enjeu de souveraineté énergétique émergent
À moyen terme, la capacité à disposer d’un mix domestique de solutions de captage pourrait devenir un indicateur de souveraineté climatique, au même titre que la sécurité d’approvisionnement énergétique. Les alliances bilatérales intègrent progressivement ces dimensions, avec des projets conjoints entre États-Unis et Canada, ou entre pays du Golfe et d’Asie, autour du co-développement de hubs technologiques et de systèmes communs de gouvernance carbone.