Les raffineurs japonais ont reçu leurs cargaisons de pétrole brut du Moyen-Orient chargées en juin sans incident majeur, malgré les affrontements entre Israël et l’Iran le mois dernier. Les gestionnaires d’approvisionnement de trois raffineurs majeurs, incluant ENEOS et Taiyo Oil, ont confirmé que seuls quelques pétroliers Suezmax et VLCC ont accusé des retards de 15 à 40 heures sur leurs programmes initiaux. Cette apparente normalité masque toutefois une réalité préoccupante : le Japon a importé 2,299 millions de barils par jour de brut moyen-oriental au premier semestre 2025, représentant plus de 95% de ses importations totales de 2,415 millions de barils par jour, selon les données du ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie (METI).
Vulnérabilité stratégique face aux risques du détroit d’Ormuz
Cette dépendance extrême survient dans un contexte géopolitique explosif. Le détroit d’Ormuz, par lequel transitent 20,9 millions de barils par jour représentant 20% de la consommation mondiale de pétrole, reste sous la menace de perturbations majeures. Les analystes de JP Morgan avertissent qu’une fermeture prolongée pourrait propulser les prix du Brent au-delà de 120 dollars le baril, particulièrement car seulement 4,2 millions de barils par jour peuvent être redirigés via des routes terrestres alternatives. Les primes d’assurance maritime ont déjà bondi de 55% sur les routes du Moyen-Orient, tandis que les autorités maritimes signalent des interférences électroniques croissantes près du port iranien de Bandar Abbas.
Le Japon dispose certes de réserves stratégiques substantielles totalisant 583 millions de barils, équivalant à 224 jours de consommation. Les stocks gouvernementaux de 324 millions de barils, gérés par la Japan Oil, Gas and Metals National Corporation (JOGMEC), sont complétés par une obligation de stockage privé de 70 jours. Des accords avec Saudi Aramco, ADNOC et Kuwait Petroleum permettent l’utilisation de 19,5 millions de barils supplémentaires en cas d’urgence. Cependant, certaines installations de stockage manquent d’infrastructure de prélèvement rapide, limitant leur efficacité en cas de crise.
Déclin structurel de la compétitivité du raffinage japonais
La situation est aggravée par le déclin structurel du secteur du raffinage japonais. Avec un indice de complexité Nelson moyen de seulement 6 à 8, les raffineries nippones accusent un retard significatif face à leurs concurrents asiatiques affichant des indices supérieurs à 10, voire 21,1 pour le complexe indien de Jamnagar. Cette faible complexité limite leur capacité à traiter les bruts lourds moins coûteux et à produire des carburants à haute valeur ajoutée, résultant en des coûts opérationnels 30 à 50% supérieurs à ceux de la Chine ou de l’Inde.
La capacité de raffinage nationale continue de se contracter, passant de 3,3 millions de barils par jour en 2022 à une projection de 3 millions fin 2024. ENEOS a fermé son installation de Wakayama de 120 000 barils par jour, tandis qu’Idemitsu Kosan prévoit la fermeture de sa raffinerie de Yamaguchi de capacité équivalente, représentant ensemble 7% de la capacité nationale. Cette contraction reflète une demande intérieure en déclin structurel de 2% annuellement depuis le pic de 5,7 millions de barils par jour atteint en 1996, alimentée par le vieillissement démographique avec 30% de la population âgée de plus de 65 ans.
Opportunités de diversification via le pipeline Trans Mountain
L’expansion du pipeline Trans Mountain canadien offre une lueur d’espoir pour la diversification. Opérationnel depuis mai 2024 avec une capacité de 890 000 barils par jour, le pipeline a déjà attiré des acheteurs japonais majeurs incluant ENEOS, GS Caltex et SK Energy. Le brut canadien présente un avantage économique significatif, se négociant environ 10 dollars par baril en dessous du Basra Heavy irakien pour les livraisons en Asie. Les analystes prévoient des exportations de 350 000 à 400 000 barils par jour vers les marchés asiatiques, offrant une alternative viable aux approvisionnements du Golfe.
Les importations américaines restent marginales à 69 621 barils par jour, malgré les déclarations du président de la Petroleum Association of Japan, Shunichi Kito, suggérant qu’un certain pourcentage de brut américain dans le mix est réalisable. Le différentiel de prix défavorable, avec le brut américain à 684 dollars la tonne contre 646 dollars en moyenne pour les importations japonaises, limite l’attractivité de cette option. Les perspectives de JP Morgan anticipant un Brent à 66 dollars le baril en 2025 pourraient toutefois modifier cette dynamique.
Impératif de transformation face aux réalités du marché
Les implications pour les acteurs du marché sont profondes. Les traders doivent intégrer des stratégies de couverture géopolitique sophistiquées face aux risques croissants sur les routes d’approvisionnement. Les arbitrages entre les bruts canadiens via TMX et les grades du Moyen-Orient créent de nouvelles opportunités, tandis que la structure des prix à terme reflète l’incertitude accrue. Les gestionnaires de raffineries font face à des décisions d’investissement critiques : moderniser pour traiter des bruts plus lourds ou accepter un déclin progressif face à la concurrence asiatique.
La transition énergétique du Japon vers l’hydrogène et l’ammoniac, combinée à la reprise du nucléaire, pourrait réduire la demande de pétrole à 2,5 millions de barils par jour d’ici 2030. Cette évolution structurelle ne résout cependant pas la vulnérabilité immédiate du pays face à sa dépendance quasi-totale aux approvisionnements du Moyen-Orient. Les raffineurs japonais se trouvent à un carrefour critique où la diversification des sources n’est plus une option stratégique mais une nécessité existentielle pour la sécurité énergétique nationale.