Réduire le chauffage, fermer les piscines, arrêter les usines? Après six mois de guerre en Ukraine, les prix de l’énergie en Europe ont vécu une semaine folle avec de nouveaux records vendredi, présageant un hiver compliqué, avec une explosion du coût de la vie.
Illustration de l’extraordinaire incertitude dans laquelle est plongé le continent, les prix de gros de l’électricité pour 2023 en Allemagne et en France ont atteint des sommets jamais vus vendredi, à respectivement 995 euros et plus de 1.100 euros le megawattheure (MWh) vers 15H00 GMT, contre de l’ordre de 85 euros/MWh il y a un an.
Plusieurs causes sont à l’origine de cette explosion, à commencer par le tarissement du gaz russe vers les pays d’Europe qui soutiennent l’Ukraine. Or 20% de l’électricité européenne est historiquement générée par des centrales thermiques au gaz. Le gaz se faisant plus rare, son prix est également à des niveaux records, ce qui renchérit le coût de l’électricité.
La guerre en Ukraine “n’est pas l’unique responsable”, pointe Vincent Charlet, économiste du groupe de réflexion la Fabrique de l’Industrie. La France par exemple, longtemps fière de son parc nucléaire, est très fragilisée par l’abaissement de ses capacités de production d’électricité dû à “l’indisponibilité” de centrales.
Jeudi, moins de la moitié des réacteurs nucléaires d’EDF, 24 sur 56, étaient en fonctionnement en raison d’un problème de corrosion, ce qui réduit la production à un niveau historiquement bas et fait mécaniquement augmenter les prix partout en Europe. Traditionnelle exportatrice d’électricité, la France est devenue importatrice.
“L’hiver va être dur pour tous les pays d’Europe, les prix vont rester élevés, et ils devraient même encore augmenter”, déclare à l’AFP Giovanni Sgaravatti, chercheur à l’institut bruxellois Bruegel.
Dans les cinq derniers jours, les consommateurs britanniques ont eux appris que les tarifs réglementés de l’électricité et du gaz allaient faire un bond de 80% dès octobre.
La crise prend de court toute l’Europe qui comptait sur les plans de relance post-Covid pour amorcer une transition énergétique, afin de sortir des énergies fossiles émettrices de gaz à effet de serre, en développant les renouvelables ou l’hydrogène.
236 milliards d’aides publiques
L’institut Bruegel a calculé que les pays de l’Union européenne avaient consacré 236 milliards d’euros de septembre 2021 à août 2022 pour aider à faire face à l’inflation énergétique (hors Portugal et Hongrie), avec des mesures comme des chèques énergie, ristournes à la pompe…
L’Allemagne est en tête avec 60 milliards d’euros, mais rapporté au PIB, ce sont la Grèce et la Lituanie qui font les plus gros efforts, avec respectivement 3,7% et 3,6% de leur PIB. L’Italie a débloqué près de 50 milliards d’euros, soit 2,8% de son PIB, et la France 1,8% avec 44,7 milliards d’euros.
Dans la foulée, les Allemands ont appris cette semaine qu’ils allaient devoir baisser dès cet automne le chauffage à 19 degrés dans toutes les administrations et se passer de piscines privées chauffées pour essayer d’alléger l’addition.
Les Finlandais sont incités à prendre des douches plus courtes et surtout à passer moins de temps dans leurs saunas, très gourmands en énergie.
Les Français qui sont protégés jusqu’au 31 décembre par un bouclier tarifaire attendent de savoir de combien l’énergie augmentera en 2023.
“L’ensemble de l’industrie européenne est plombée par la dépense énergétique”, souligne Vincent Charlet. Dans un premier temps, les activités industrielles les plus menacées sont celles utilisant directement du gaz ou de l’électricité comme matière première”, note-t-il. Soit des parties importantes de la métallurgie (aluminium) ou de la chimie.
En Pologne, en Italie, en Hongrie, en Norvège, de nombreuses usines d’ammoniac, servant à fabriquer les engrais azotés, ont annoncé un arrêt d’activité cette semaine. Le prix du gaz devient tellement élevé qu’il n’est plus rentable de fabriquer de l’ammoniac.
“Pour la première fois cette année, j’ai entendu parler de la possibilité de délocalisations énergétiques”, alerte M. Charlet.
De là à craindre une glaciation économique, il n’y a qu’un pas: “une récession est probablement inévitable” dans la zone euro, indique la banque HSBC, qui s’attend à un recul du PIB sur les trois derniers mois de 2022 et les trois premiers de 2023.