Si Ferdinand Marcos Jr remporte l’élection présidentielle le 9 mai, il pourrait activer une centrale nucléaire. Celle-ci n’a jamais été mise en service. De plus, elle est construite près d’une faille sismique et de volcans.
À 80 km à l’ouest de Manille, le bâtiment de béton entouré de grillages surplombe la mer de Chine méridionale, dans une région exposée aux tremblements de terre et à 57 km du Mont Pinatubo dont l’éruption a tué 300 personnes en 1991.
Ainsi, la centrale nucléaire de Bataan, devenue avec ses 2,2 milliards de coûts de construction un symbole de la corruption du régime de Ferdinand Marcos, avait été désaffectée avant même sa mise en route après le renversement du dictateur en 1986 et le choc causé par la catastrophe de Tchernobyl la même année.
Malgré les risques, Ferdinand Marcos Jr promet de relancer le nucléaire. Le fils de l’ancien dictateur évoque la possibilité de ressusciter la centrale voulue par son père. “Nous devons vraiment envisager l’énergie nucléaire”, a déclaré M. Marcos Jr en mars, insistant sur le fait qu’au moins une centrale est nécessaire pour réduire les prix exorbitants de l’électricité dans le pays.
En effet, le favori de la présidentielle, qui est aussi un partisan des énergies éolienne, solaire et géothermique, a annoncé vouloir réexaminer une proposition sud-coréenne pour réhabiliter la centrale de Bataan d’une puissance théorique de 620 MW.
“Regardons ça à nouveau”, a-t-il lancé.
Cependant, la mise à niveau de vieilles installations équipées d’une technologie analogique pourrait prendre au moins quatre ans et coûter un milliard de dollars. La centrale, construite pour pallier les difficultés énergétiques du pays après les chocs pétroliers des années 1970, n’a jamais produit le moindre watt.
Elephant blanc
Aujourd’hui, le gouvernement doit dépenser près d’un demi-million de dollars par an pour son entretien. Le coût était deux fois plus important, selon le directeur de la centrale Dante Caraos, avant la revente de l’uranium en 1997, avec 35 millions de dollars de perte.
À défaut d’électricité, la seule centrale nucléaire du pays produit de l’activité touristique, accueillant visiteurs et étudiants.
On y monte des escaliers métalliques et traverse des passages aux allures de sous-marin pour observer le réacteur à l’arrêt.
Dans la salle de contrôle l’agent de maintenance Rizly Seril, 65 ans, essuie la poussière sur les bureaux, dans une chaleur étouffante, la climatisation étant éteinte pour réduire les coûts.
M. Seril, qui était pêcheur quand la construction a commencé dans les années 1970, erre dans la centrale silencieuse, appuyant sur des boutons, tirant des leviers et lubrifiant des pièces de moteur. C’était “un immense honneur” de travailler ici, dit-il.
Pour beaucoup, cependant, la centrale conçue par Westinghouse est un vestige des éléphants blancs qui alimentaient la dette et la corruption pendant les années Marcos, appauvrissant le pays. Le coût estimé initialement à 500 millions de dollars s’est envolé à près de 2,2 milliards de dollars, avec des soupçons de vols de la part du dictateur et de son clan.
Le président sortant Rodrigo Duterte a publié un décret en début d’année pour intégrer le nucléaire dans le bouquet énergétique prévu pour le pays.
Séismes, typhons, volcans
L’électricité des Philippines, où les coupures de courant sont fréquentes, vient pour plus de la moitié d’un charbon largement importé et polluant. Pour les partisans du nucléaire, cette technologie offre une option plus propre pour répondre à la demande.
Les opposants estiment pour leur part que les énergies renouvelables, comme l’éolien ou le solaire, sont moins chères et plus sûres dans un pays à la merci des séismes, typhons et éruptions volcaniques.
“Si vous ajoutez les conséquences du changement climatique, ce sera un gros sujet d’inquiétude pour les populations locales”, souligne Roland Simbulan, militant anti-nucléaire.
Le pays refuse de convertir le site en centrale à charbon ou à gaz naturel. Selon Ronald Mendoza, doyen de l’Ateneo School of Government à Manille, il serait plus économique de construire une nouvelle usine et de faire de Bataan le “plus grand musée de la corruption d’Asie” pour rappeler les erreurs du passé.
Néanmoins, Joe Manalo, chef de la préservation et de la maintenance de la centrale de Bataan, doute aussi de voir un jour de l’électricité sortir du site. “Cela dépend du gouvernement et du nouveau président”, dit-il en guidant l’AFP à travers le labyrinthe de couloirs et de salles. “Voir, c’est croire”.