En soutenant les prix du brut sur les marchés mondiaux, les pays pétroliers du Golfe, Arabie saoudite en tête, ménagent leur partenaire russe mais défendent aussi leurs propres intérêts, estiment des
analystes.
Les 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) menés par Ryad, et leurs dix alliés conduits par Moscou (Opep+), ont annoncé cette semaine une baisse drastique de leur production, faisant craindre une nouvelle flambée des prix après l’accalmie des dernières semaines.
Accusé de faire le jeu du Kremlin, qui cherche à financer sa guerre en Ukraine, le ministre saoudien de l’Energie, le prince Abdel Aziz ben Salmane, a invoqué les “incertitudes” planant sur l’économie mondiale et la nécessité d’anticiper pour pouvoir “stabiliser le marché”.
“Cette réduction donne au groupe plus de capacités de réserves qui peuvent être utilisées plus tard pour rééquilibrer les marchés”, affirme Amena Baker, spécialiste des marchés pétroliers au bureau d’analyse Energy intelligence.
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, les décisions de l’alliance ont permis de contenir la volatilité des prix du pétrole par rapport à ceux du gaz ou du charbon, ajoute-t-elle.
Malgré les sommets atteints par l’or noir depuis le début de la guerre, le cartel a résisté aux appels des Occidentaux à ouvrir les vannes, en invoquant des capacités limitées, faute d’investissements suffisants ces dernières années.
La plupart des pays membres produisant déjà en deçà de leurs quotas, les coupes annoncées seront essentiellement assumées par l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït, qui espèrent sans doute compenser le manque à gagner par un redressement des cours dans les mois à venir.
– Ignorer les intérêts américains –
Mais pour contrôler l’offre, ils doivent préserver l’entente entre les principaux pays producteurs, notamment la Russie, quitte à ignorer les intérêts de Washington, autre partenaire clef des Etats du Golfe, à faire baisser les prix à la pompe avant les élections de mi-mandat.
“Les Saoudiens ne soutiennent peut-être pas la guerre en Ukraine, mais ils ne veulent pas perdre la coopération des Russes sur le marché”, souligne Jim Krane, du Baker Institute de l’Université de Houston, aux Etats-Unis.
L’objectif des Etats du Golfe est de maintenir une certaine stabilité des prix et d’éviter une chute brutale des cours, estime la chercheuse Karen Young, du Center on Global Energy Policy de l’université de Columbia.
Les économies du Conseil de coopération du golfe – incluant l’Arabie, les Emirats, le Koweït, le Qatar et Bahreïn – ont pâti de l’effondrement des prix pendant la pandémie, après avoir déjà souffert de baisses sur les marchés depuis 2014.
Ces Etats devraient connaitre une croissance de 6,9% cette année, avant de ralentir à 3,7% en 2023, selon les dernières prévisions de la Banque mondiale.
– Occasion inespérée –
Les revenus additionnels générés, qui pourraient dépasser 1.000 milliards de dollars d’ici 2026 selon le Fonds monétaire international (FMI), sont un moyen pour les dirigeants de la région de préparer l’avenir.
“Oman est en train de racheter une partie de sa dette (…), l’Arabie saoudite accumule des réserves pour soutenir ses projets de développement, les Emirats constituent une épargne pour investir à l’étranger et dans des actifs stratégiques dans la région”, énumère Karen Young.
Selon l’agence Bloomberg, le fonds souverain saoudien a investi 7 milliards de dollars en bourse au deuxième semestre, acquérant des parts dans des fleurons américains comme Amazon, Alphabet, ou BlackRock.
Les pays pétroliers, qui estiment avoir été ostracisés ces dernières années sur fond de lutte contre le changement climatique, voient dans la crise énergétique une occasion inespérée de redonner aux hydrocarbures leurs lettres de noblesse.
Le mois dernier, le patron du géant saoudien Aramco, Amin Nasser, a plaidé pour une hausse des investissements mondiaux dans les énergies fossiles, critiquant les objectifs “irréalistes” de transition énergétique.
Mais, à terme, les pays du Golfe n’ont pas intérêt à défendre des cours trop élevés, au risque d’accélérer l’adoption d’énergies alternatives, un “scénario effrayant”, souligne Jim Krane, surtout pour l’Arabie saoudite qui, “au rythme actuel, peut produire pendant 75 ans”.