Les grandes entreprises pétrolières sont de nouveau au cœur de la polémique en raison du manque de transparence sur les émissions de dioxyde de carbone (CO2) générées par le torchage. Une enquête internationale coordonnée par le réseau *European Investigative Collaborations* (EIC), et menée par plusieurs médias dont Mediapart, met en lumière une sous-estimation systématique des émissions de gaz à effet de serre par ces groupes dans 18 pays d’Afrique et du Moyen-Orient entre 2012 et 2022. En 2023, le torchage a généré 381 millions de tonnes de CO2, soit 1 % des émissions mondiales.
Le torchage, un procédé utilisé pour éliminer le gaz naturel associé à l’extraction du pétrole, est une méthode courante, mais controversée. Alors que des technologies alternatives existent pour le récupérer ou le réinjecter, leur adoption reste limitée. Selon les données de l’enquête, le groupe algérien Sonatrach est l’un des principaux contributeurs, avec 235 millions de tonnes de CO2 émises en onze ans. D’autres entreprises comme BP, Shell, ExxonMobil et TotalEnergies figurent également parmi les émetteurs les plus importants.
Un manque de transparence persistant
L’un des principaux griefs soulevés par le rapport est l’opacité dans la communication des rejets par torchage. Certaines entreprises, notamment en Europe, ne publient que des chiffres globaux, sans détail par installation, ce qui rend difficile l’évaluation de leur impact réel. Par exemple, TotalEnergies prend en compte uniquement les émissions des infrastructures qu’elle exploite directement, excluant celles dans lesquelles elle n’est que partiellement impliquée. Cette approche, bien que conforme aux normes de l’industrie, est critiquée par l’EIC pour ne pas refléter la réalité complète de la pollution engendrée.
La méthodologie utilisée par l’enquête, basée sur l’analyse d’images satellites de 665 infrastructures pétrolières, met en évidence des écarts importants entre les chiffres déclarés par les entreprises et les émissions réelles observées. Certaines compagnies comme Shell estiment que ces mesures ne sont pas fiables, arguant que la technologie satellitaire n’a pas la précision nécessaire pour évaluer correctement les volumes émis. Néanmoins, les résultats de l’étude soulignent un schisme entre les engagements publics de décarbonation et les pratiques effectives sur le terrain.
Les majors sous pression réglementaire
L’opacité des émissions par torchage intervient dans un contexte de pression croissante sur les entreprises pour améliorer la transparence environnementale. Dans plusieurs juridictions, dont les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne, les régulateurs durcissent les exigences en matière de reporting, imposant des audits plus stricts. Parallèlement, des initiatives telles que le *Global Gas Flaring Reduction Partnership* (GGFR) de la Banque mondiale incitent les États et les entreprises à réduire le torchage et à adopter des technologies de récupération.
Cependant, malgré ces initiatives, le rapport de l’EIC montre que peu d’acteurs respectent pleinement leurs engagements. Les majors invoquent des obstacles techniques et des coûts élevés pour justifier le recours continu au torchage, alors que l’infrastructure nécessaire pour réinjecter le gaz ou l’utiliser à d’autres fins reste encore insuffisante dans de nombreuses régions. Cela soulève des questions sur la capacité de ces entreprises à tenir leurs promesses de décarbonation face aux pressions réglementaires croissantes.
Réactions contrastées des entreprises
Face aux accusations, les réponses des entreprises varient. TotalEnergies défend sa méthodologie en affirmant que ses calculs sont conformes aux pratiques internationales de reporting. Le groupe critique l’étude pour son manque de vérification externe et pointe la variabilité des données obtenues par satellite. Shell, de son côté, rejette également les conclusions, affirmant que ses propres rapports respectent les régulations en vigueur dans les pays où elle opère. Ni ExxonMobil, ni Chevron n’ont commenté ces accusations.
Le torchage reste un sujet complexe pour les régulateurs et les entreprises, car il met en évidence un écart persistant entre les engagements de décarbonation affichés et les pratiques réelles sur le terrain. La persistance de cette méthode démontre que, malgré les progrès technologiques, la pression financière et les contraintes techniques freinent l’adoption de solutions plus propres. Cela reflète également un problème plus large de gouvernance et de responsabilité au sein du secteur pétrolier, où les pratiques diffèrent selon les régions et les régulations locales.