L’industrie pétrolière européenne revoit ses priorités. Après avoir affiché des ambitions élevées pour la transition énergétique, plusieurs compagnies reviennent sur leurs engagements en matière d’énergies renouvelables. Cette réorientation s’explique par des rendements jugés insuffisants et une pression accrue des investisseurs en quête de valorisation boursière.
Des projections divergentes sur la demande pétrolière
Si l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit un pic de la demande mondiale de pétrole d’ici la fin de la décennie, d’autres acteurs estiment que ce tournant est encore lointain. Vitol, principal négociant indépendant, n’anticipe pas de déclin avant 2040, tandis que TotalEnergies situe l’échéance entre 2030 et 2035. De son côté, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) table sur une croissance continue de la consommation jusqu’en 2050.
Dans ce contexte incertain, les grandes compagnies pétrolières ajustent leurs stratégies. Elles jugent le développement des énergies renouvelables encore insuffisant pour compenser la demande en hydrocarbures, notamment dans les pays émergents où la consommation énergétique continue d’augmenter.
Les majors européennes font machine arrière
Certaines compagnies européennes, autrefois à l’avant-garde de la transition, revoient à la baisse leurs ambitions. Enel a réduit son enveloppe dédiée aux énergies renouvelables de 5 milliards d’euros pour la période 2024-2026. BP, qui s’était engagé à réduire de 25 % sa production d’hydrocarbures d’ici 2030, est sous pression des investisseurs pour revoir cette cible à la baisse. Le groupe britannique a déjà annoncé en décembre 2024 une diminution significative de ses investissements dans l’éolien offshore, préférant créer une coentreprise avec la société japonaise Jera.
Shell adopte une posture similaire. La compagnie a confirmé en décembre dernier qu’elle ne développerait plus de nouveaux projets d’éoliennes en mer, estimant qu’elle ne dispose pas d’un avantage concurrentiel suffisant sur ce segment. La direction préfère concentrer ses efforts sur les activités historiques plus rentables, notamment le gaz naturel liquéfié (GNL).
TotalEnergies maintient une approche hybride
À contre-courant de cette tendance, TotalEnergies conserve ses objectifs en matière d’énergies renouvelables. Le groupe prévoit d’atteindre 100 gigawatts (GW) de capacités électriques vertes d’ici 2030 et de consacrer un tiers de ses investissements aux « énergies bas carbone ». Cette catégorie inclut cependant des segments hybrides comme les biocarburants, le biogaz et les centrales électriques à gaz, soulignant une approche plus progressive que disruptive.
Par ailleurs, TotalEnergies ne prévoit pas de réduction de sa production pétrolière et gazière. En octobre 2024, l’entreprise a relevé ses prévisions de croissance dans ces secteurs, tablant sur une augmentation annuelle de 3 % jusqu’en 2030, avec un accent particulier sur le gaz naturel.
Les majors américaines et nationales en position d’observation
Si les compagnies pétrolières américaines, comme ExxonMobil et Chevron, affichent des objectifs de réduction des émissions, elles restent majoritairement focalisées sur l’exploitation des hydrocarbures. Contrairement à leurs homologues européennes, elles ont peu investi dans l’électricité renouvelable.
Les compagnies pétrolières nationales, qui contrôlent plus de 50 % de la production mondiale, jouent également un rôle clé. Certaines, comme Aramco, Adnoc ou PetroChina, ont annoncé des objectifs climatiques à long terme, visant la neutralité carbone de leurs opérations entre 2045 et 2050. Cependant, ces engagements restent limités par rapport aux majors occidentales, soumises à des obligations de transparence plus strictes.
La réorientation stratégique des compagnies européennes témoigne d’un arbitrage entre rentabilité immédiate et transition énergétique. Alors que les projections sur la demande mondiale de pétrole divergent, l’évolution du marché conditionnera les prochains ajustements des grandes entreprises du secteur.