Le département du Commerce américain a officiellement ouvert le 7 août 2025 des enquêtes antidumping et de droits compensateurs visant les importations de cellules photovoltaïques cristallines en provenance d’Inde, d’Indonésie et du Laos. Cette nouvelle offensive commerciale fait suite à l’imposition réussie de tarifs douaniers contre le Cambodge, la Malaisie, la Thaïlande et le Vietnam en juin dernier. L’Alliance for American Solar Manufacturing and Trade, qui regroupe First Solar Inc., Mission Solar Energy LLC et Hanwha Q Cells USA Corp., a déposé les pétitions initiales en juillet. Les marges de dumping présumées atteignent 123,04% pour l’Inde, 94,36% pour l’Indonésie et oscillent entre 123,12% et 190,12% pour le Laos.
Des fabricants chinois accusés de contourner les restrictions
Tim Brightbill, avocat principal de l’Alliance chez Wiley Rein, affirme que les entreprises à capitaux chinois ont rapidement délocalisé leurs opérations vers le Laos et l’Indonésie après les précédentes mesures restrictives. Six sociétés établies à Batam en Indonésie, identifiées comme étant contrôlées par des dirigeants d’entreprises solaires chinoises, représentent environ 70% des exportations indonésiennes vers les États-Unis selon les analyses des registres commerciaux. PT Rec Solar Energy Indonesia domine désormais les exportations solaires du pays vers l’Amérique avec 219 millions de dollars de ventes au premier semestre 2025. Les statistiques commerciales révèlent que la part de marché combinée de l’Indonésie et du Laos sur le marché américain a bondi de moins de 1% en 2023 à 29% après l’entrée en vigueur des premiers tarifs douaniers.
Les manufacturiers indiens figurent également parmi les cibles des autorités commerciales américaines. Waaree Energies, Adani Solar et Vikram Solar exportent chacune plus de la moitié de leur production annuelle vers les États-Unis selon les données sectorielles. L’Inde a expédié 2,3 gigawatts de cellules solaires vers l’Amérique en 2024 pour une valeur de 792,6 millions de dollars, maintenant ainsi une position stratégique sur ce marché crucial pour l’industrie photovoltaïque mondiale.
Le déficit manufacturier américain amplifie la dépendance aux importations
Les États-Unis font face à un déséquilibre structurel entre leur capacité de production domestique et les besoins du marché national. Le pays dispose de 51 gigawatts de capacité de fabrication de modules solaires mais seulement 2 gigawatts pour les cellules, composant essentiel de la chaîne de valeur photovoltaïque. Cette disparité contraint les fabricants américains à importer massivement les composants critiques, avec 13,89 gigawatts de cellules en silicium importées en 2024 selon les données douanières. Suniva demeure le seul producteur domestique de cellules en silicium cristallin, avec une capacité limitée à un gigawatt qui n’a pas encore atteint son plein potentiel opérationnel.
La dépendance américaine aux approvisionnements étrangers persiste malgré les investissements substantiels dans la production nationale. Les importations ont totalisé 54,3 gigawatts de panneaux assemblés en 2024, surpassant largement la production domestique estimée à 25 gigawatts incluant la production de First Solar. Les quatre pays actuellement sous investigation antidumping – Vietnam, Thaïlande, Malaisie et Cambodge – représentaient 80% des importations américaines de modules solaires avant l’application des nouvelles mesures tarifaires.
L’impact économique frappe les développeurs de projets solaires
Les nouveaux tarifs douaniers provoquent des augmentations substantielles des coûts pour l’ensemble de l’industrie solaire américaine. Clean Energy Associates projette une hausse potentielle de 10 à 15 cents par watt pour les modules importés, affectant directement la viabilité économique des projets. Les prix des modules en provenance d’Asie du Sud-Est ont grimpé de 50% à plus de 100% dans certains cas depuis l’application des mesures protectionnistes. Les systèmes de stockage par batteries, composants essentiels pour les installations solaires résidentielles et commerciales, ont vu leurs coûts wholesale passer de 400 dollars à plus de 500 dollars par kilowattheure selon les données des distributeurs.
L’analyse économique révèle des conséquences paradoxales des politiques tarifaires sur l’emploi et l’activité économique. Chaque poste créé par les tarifs douaniers entraînerait la suppression de 31 autres emplois dans l’écosystème solaire selon les calculs de la Solar Energy Industries Association. L’économie américaine subirait des pertes quotidiennes de 10,5 millions de dollars en activité économique non réalisée d’après les estimations sectorielles. FTI Consulting projette dans ses modélisations que 14 gigawatts de capacité solaire utilitaire pourraient être compromis sur les cinq prochaines années si les conditions tarifaires actuelles persistent.
Le calendrier réglementaire fixe les échéances cruciales pour le secteur
La Commission du Commerce International américaine (ITC) doit rendre sa détermination préliminaire le 2 septembre 2025 concernant l’existence d’un préjudice matériel pour l’industrie domestique. Si cette décision s’avère affirmative, le département du Commerce annoncera ses conclusions préliminaires sur les droits compensateurs le 13 octobre 2025 et sur les droits antidumping le 26 décembre 2025. Les déterminations finales sont programmées pour avril 2026, moment où les tarifs définitifs pourraient entrer en vigueur rétroactivement selon les procédures établies.
L’historique des procédures commerciales américaines suggère une forte probabilité d’imposition de mesures tarifaires définitives. Christian Roselund de Clean Energy Associates souligne que 96,5% des pétitions antidumping et de droits compensateurs déposées entre 2011 et 2021 ont abouti à l’application de tarifs douaniers. Cette tendance statistique indique que les importateurs, développeurs et financiers de projets doivent dès maintenant anticiper des modifications substantielles dans leurs stratégies d’approvisionnement et leurs modèles économiques pour les installations futures.