Le Turkménistan, pays enclavé mais richement doté en ressources, engage une stratégie de repositionnement de ses exportations gazières, avec l’appui du Global Gas Centre basé à Genève. Le partenariat, principalement politique et sectoriel, marque une tentative d’Achgabat pour diversifier ses flux hors du monopole chinois, en capitalisant sur le vide laissé par la réduction programmée des importations européennes de gaz russe.
Un producteur sous-dépendant à l’international
Le Turkménistan détient plus de 11 000 Gm³ de réserves prouvées de gaz naturel, notamment sur le champ de Galkynysh. Pourtant, ses exportations sont dominées depuis plus d’une décennie par le gazoduc reliant l’Asie centrale à la Chine, qui a livré jusqu’à 35 Gm³ par an sur une capacité de 55 Gm³. Cette dépendance à un seul acheteur expose le pays à une pression tarifaire croissante, surtout depuis que Pékin reçoit également des volumes russes via les infrastructures Power of Siberia et achète du gaz naturel liquéfié (GNL) sur les marchés internationaux.
Dans ce contexte, la stratégie turkmène s’oriente vers trois axes de diversification : le maintien et l’élargissement de la relation avec la Chine, la relance du projet de gazoduc TAPI vers l’Asie du Sud, et l’activation de mécanismes de swaps avec l’Iran et la Türkiye. À terme, ces flux pourraient alimenter l’Europe par une liaison transcaspiènne connectée au Southern Gas Corridor.
Un accès indirect aux grandes compagnies via Genève
Le Global Gas Centre n’est pas un investisseur mais une plateforme de dialogue. Il permet au Turkménistan d’atteindre directement les directions stratégiques de groupes européens et asiatiques sans passer par des négociations bilatérales longues. Cette diplomatie sectorielle, structurée autour de la participation à des forums comme OGT et TEIF, vise à crédibiliser le pays comme fournisseur fiable dans un contexte de réalignement des flux mondiaux.
Le TAPI, gazoduc de 1 800 kilomètres prévu pour transporter 33 Gm³/an vers l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde, reste cependant suspendu à des conditions sécuritaires et financières incertaines. De leur côté, les swaps via l’Iran, plafonnés à environ 2 Gm³/an, demeurent limités mais démontrent une capacité technique de livraison vers la Türkiye et l’Irak, ouvrant des perspectives régionales.
Sanctions, arbitrages et géopolitique des flux
Le Turkménistan n’est pas soumis à des sanctions, mais certains corridors envisagés le sont. L’Iran et ses infrastructures énergétiques sont sous sanctions américaines et européennes, et l’Afghanistan reste sous contrôle des Talibans, sans reconnaissance internationale formelle. Toute transaction ou investissement nécessitera donc un cadre strict de conformité pour les acteurs impliqués.
La démarche permet également à Achgabat de négocier avec la Chine dans un rapport de force plus équilibré. L’arrivée de nouveaux volumes russes sur le marché chinois renforce la compétition et pourrait inciter Pékin à revoir les termes de ses contrats. Pour le Turkménistan, faire miroiter des alternatives crédibles constitue un levier commercial dans les futures discussions tarifaires.
Entre signaux politiques et réalités physiques
Le recours au Global Gas Centre vise également à préparer le terrain à des projets structurants comme le Transcaspien. Cette liaison sous-marine vers l’Azerbaïdjan, connectée au Southern Gas Corridor, nécessiterait des accords intergouvernementaux complexes et des financements multilatéraux. En parallèle, les discussions avec des utilities européennes sur la traçabilité et la conformité des flux avancent dans un climat réglementaire de plus en plus exigeant.
L’option de liquéfaction du gaz pour l’export en GNL est aussi évoquée mais reste hypothétique. Le Turkménistan, sans accès maritime direct, devrait recourir à des solutions de petite échelle ou à des points de transbordement en mer Caspienne, impliquant des investissements significatifs.
Impacts potentiels sur les marchés régionaux
Si les flux vers la Türkiye ou l’Europe se concrétisent, le gaz turkmène pourrait peser à la baisse sur les primes de risque intégrées dans les contrats européens post-russes. En Asie, la pression concurrentielle sur les contrats long terme chinois pourrait s’accentuer. Pour les groupes d’ingénierie, fabricants de tubes et opérateurs logistiques, les projets TAPI et Transcaspien représentent des opportunités industrielles, à condition d’un cadrage politique stable.
Le Turkménistan pourrait, à moyen terme, tirer parti d’un environnement géopolitique où la diversification énergétique est prioritaire, à condition de surmonter les blocages liés aux sanctions et aux risques transfrontaliers. Le rôle du GGC dans cette équation reste celui d’un amplificateur d’influence, au service d’une stratégie encore largement en construction.