Les pénuries d’électricité sont devenues un phénomène régulier pour les 10 millions d’habitants du Tadjikistan, particulièrement durant les mois d’hiver. Le pays dépend à 95 % de l’hydroélectricité, mais les faibles précipitations et l’augmentation de la demande énergétique rendent la situation critique. Les autorités espèrent néanmoins inverser cette tendance grâce au barrage de Rogoun, en cours de construction, présenté comme une solution innovante et déterminante.
Dès septembre, les coupures de courant touchent la majorité des foyers, limitant l’accès à l’électricité à quelques heures par jour. Cette situation est exacerbée par une infrastructure vétuste, incapable de répondre à une consommation qui a doublé depuis l’indépendance en 1991. La compagnie nationale d’électricité, Barki Tojik, évoque des restrictions « inévitables » et appelle à des efforts collectifs pour moderniser le réseau.
Un projet titanesque pour répondre à une crise énergétique
Le barrage de Rogoun, avec ses 335 mètres de hauteur prévus, deviendra le plus haut du monde. Une fois opérationnel, il produira 3 600 mégawatts, l’équivalent de trois centrales nucléaires. Ce projet monumental, initié en 1976 sous l’URSS, a traversé des décennies de difficultés économiques et politiques avant d’être relancé par le gouvernement tadjik.
Sur le site, environ 17 000 ouvriers travaillent jour et nuit pour ériger une infrastructure qui promet de transformer le paysage énergétique du pays. Zafar Bouriev, un ingénieur du projet, explique que le réservoir atteindra une altitude de 1 300 mètres, permettant une exploitation optimale de la ressource hydrique. Des panneaux affichent fièrement des slogans comme « Rogoun est l’avenir radieux du Tadjikistan », illustrant l’importance symbolique et économique de ce barrage.
Enjeux climatiques et géopolitiques
Cependant, les ambitions du Tadjikistan se heurtent à des défis majeurs. La région subit un réchauffement accéléré par rapport à la moyenne mondiale, entraînant une réduction des précipitations et une fonte des glaciers alimentant les rivières. Selon la Banque mondiale, ces évolutions climatiques menacent directement la viabilité à long terme de projets comme Rogoun.
Par ailleurs, l’eau est un sujet sensible en Asie centrale, où les ressources sont disputées entre les États. Le Tadjikistan envisage d’exporter une partie de l’électricité produite vers des voisins comme le Pakistan ou l’Inde, mais ces ambitions suscitent des tensions avec des pays comme l’Ouzbékistan, qui craignent des impacts sur leur accès à l’eau.
Un avenir incertain
Le coût faramineux de Rogoun, estimé à plus de 6 milliards de dollars, soulève également des questions. Si le projet est salué par les organisations internationales pour sa contribution aux énergies renouvelables, des inquiétudes persistent quant à ses conséquences environnementales et économiques. En parallèle, d’autres initiatives hydrauliques régionales, comme la centrale de Kambar-Ata au Kirghizstan, tentent de concilier développement énergétique et durabilité.
Alors que le Tadjikistan s’efforce de se libérer de la crise énergétique, Rogoun incarne à la fois l’espoir d’un avenir lumineux et les défis complexes d’un monde en mutation. L’issue de ce projet déterminera non seulement le sort énergétique du pays, mais aussi ses relations avec ses voisins et sa capacité à s’adapter au changement climatique.