Le débat stratégique sur l’usage des déchets municipaux résiduels au Royaume-Uni entre dans une phase critique. Une analyse publiée par l’Oxford Institute for Energy Studies (OIES) indique que la valorisation énergétique avec captage et stockage du carbone (EfW-CCS) génère un bénéfice climatique net significativement supérieur à celui de la production de carburant d’aviation durable (SAF) à partir des mêmes déchets. Cette conclusion met en lumière une tension croissante entre deux axes de la politique climatique britannique.
Deux politiques climatiques en concurrence pour une ressource unique
L’étude montre que, pour une tonne de déchets post-recyclage, l’EfW-CCS permettrait d’éliminer entre −1,0 et −1,3 tonne équivalent CO₂, principalement par retrait du carbone biogénique. À l’inverse, la filière MSW-to-SAF offre un bénéfice net compris entre −0,3 et −0,7 tCO₂e, selon les hypothèses retenues sur les émissions évitées. Le différentiel devient plus marqué si l’on exclut les crédits liés à l’électricité ou au recyclage, avec un avantage climatique résiduel pour l’EfW-CCS avoisinant −0,6 tCO₂e.
Infrastructures stratégiques et tensions réglementaires
Les installations EfW sont déjà intégrées aux grands clusters de captage et stockage carbone tels que HyNet, East Coast ou Acorn. Des projets comme Runcorn (Viridor), Protos (Encyclis) ou Ferrybridge (enfinium) visent à fournir un flux constant de CO₂ compatible avec ces infrastructures. Parallèlement, le mandat britannique sur les carburants durables impose 22 % de SAF d’ici 2040, incitant les producteurs à capter les mêmes flux de déchets pour les transformer en carburant d’aviation.
Impact sur la souveraineté climatique du Royaume-Uni
Le caractère domestique des déchets municipaux post-recyclage renforce leur rôle stratégique. En privilégiant l’EfW-CCS, le Royaume-Uni pourrait convertir un passif environnemental en actif climatique, consolidant sa trajectoire vers la neutralité carbone. La filière SAF, plus exposée aux dynamiques transnationales, présente un risque de dépendance accrue aux approvisionnements étrangers en matières premières, déjà très disputés à l’échelle mondiale.
Conséquences économiques pour les acteurs du secteur
Pour les exploitants de centres de valorisation énergétique, l’intégration du CCS permettrait de repositionner leurs actifs comme sources de crédit carbone négatif à haute valeur. Cette dynamique ouvre un accès potentiel aux 21,7 Md£ de soutien public britannique pour les projets CCS. À l’inverse, les producteurs de SAF font face à une rentabilité plus incertaine, dépendant de la valorisation de certificats réglementaires et de contrats long terme avec les compagnies aériennes.
Flou réglementaire et risques de contentieux
L’absence d’arbitrage explicite entre les deux usages du déchet alimente une situation réglementaire ambiguë. Les méthodes de comptabilisation des émissions évitées ou retirées, ainsi que la mesure de la part biogénique du carbone, restent hétérogènes. Cette instabilité accroît le risque juridique pour les projets concernés, notamment en matière de subventions publiques, d’aides d’État et de double comptage des réductions d’émissions.
Répercussions géopolitiques et enjeux de gouvernance
Une hiérarchisation claire de l’usage du gisement de déchets pourrait repositionner le Royaume-Uni comme exportateur net de crédits de CO₂ négatif. En l’absence de stratégie unifiée, le pays s’expose à un paradoxe : soutenir des projets SAF pour le transport international, tout en devant importer des crédits CDR (carbon dioxide removal) pour respecter ses propres engagements climatiques. Ce déséquilibre potentiel interroge la cohérence globale de la politique énergétique britannique.