Les relations entre l’Occident et les piliers de l’OPEP, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, se tendent tandis que les liens du Qatar avec les États-Unis et l’Europe se renforcent. On observe alors une évolution des alliances stratégiques.
Une évolution logique mais accentuée par la guerre en Ukraine
Avant même le début de la guerre en Ukraine, le Qatar avait de grandes ambitions quant au développement de son activité de GNL. Dans le contexte de reprise après la pandémie, la demande énergétique occidentale a explosé. Afin d’assurer l’approvisionnement en pétrole, Joe Biden a reçu l’émir du Qatar fin janvier. Le président américain avait notamment qualifié le pays d’un « allié majeur non-membre de l’OTAN ». Les ministres de l’énergie américains et qataris ont par ailleurs discuté du renforcement de leurs relations énergétiques débuts mars.
Dans le même temps, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont ignoré les demandes américaines visant à obtenir davantage de pétrole. Cette décision peut s’expliquer par plusieurs facteurs. D’une part, ces deux États sont membres de l’OPEP au même titre que la Russie, et ont déjà annoncé souhaiter respecter cette alliance. D’autre part, ils ont déclaré être consternés par l’incohérence des propos de M. Biden concernant l’activisme climatique.
Enfin, ils considèrent également que la réponse américaine à l’intensification des attaques des rebelles Houthis, soutenus par l’Iran au Yémen, est insuffisante. Ces attaques visent principalement des infrastructures pétrolières vitales. Ils continuent de tirer la sonnette d’alarme face aux tentatives de l’administration Biden de relancer l’accord nucléaire avec l’Iran. Il mettrait ainsi fin aux sanctions contre l’industrie énergétique de Téhéran.
Le Qatar, un rôle de premier plan
Cette évolution des alliances stratégiques débouche sur une redistribution des cartes. Vandana Hari, PDG de Vanda Insights, explique :
« La guerre en Ukraine redessine la carte mondiale des amis et des ennemis, nous pourrions donc entrer dans une nouvelle phase énergétique ici. Le fait que les États-Unis courtisent le Qatar s’inscrit parfaitement dans le contexte où ils tentent de sécuriser davantage de voies d’approvisionnement en gaz pour l’Europe afin de remplacer les molécules russes. »
L’année dernière, le Qatar a été le plus grand exportateur mondial de GNL. Ses livraisons s’élevaient à 110,2 milliards de m3 d’équivalents gaz selon les données de S&P Global. De plus, il produit actuellement environ 77 millions de mt/an de GNL. Le Qatar développe également son gigantesque champ nord pour porter sa capacité à 126 millions de mt/an dans les années à venir. Enfin, le Qatar est également le propriétaire majoritaire du terminal GNL de Golden Pass, au Texas.
Rappelons que le pays a quitté l’OPEP en 2018 afin de se concentrer sur ses ambitions gazières. À l’époque, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis maintenaient un embargo commercial contre le Qatar dans le cadre d’un différend politique. Les relations ont été rétablies en janvier 2021.
Ainsi, la guerre en Ukraine a mis en évidence le rôle de premier plan du Qatar sur le marché du gaz. Dans ce contexte, Saad Sherida Al-Kaab, ministre de l’énergie du Qatar, a rencontré de très nombreux dirigeants occidentaux. Doha se déclare prête à augmenter ses livraisons de gaz à court terme.
Une stratégie qatarie efficace sur le long terme ?
Le Qatar a su saisir l’occasion pour améliorer ses relations avec l’Occidents. Amy Myers Jaffe, directrice du Climate Policy Lab de la Fletcher School de l’université Tufts, juge cette stratégie très efficace au vu du contexte géopolitique. De plus, une première fracture entre les États-Unis et l’OPEP était apparue avant l’invasion de l’Ukraine.
Toutefois, il est nécessaire de nuancer ce propos. Les liens actuels ne doivent pas être perçus à travers un schéma manichéen qui consisterait à dire que les relations avec le Qatar sont excellentes et celles avec l’Arabie saoudite ou les EAU sont vraiment mauvaises.
Selon Rachel Ziemba, experte en risques géopolitiques chez Ziemba Insights, les liens entre l’Occident et le Qatar reposent principalement sur des intérêts commerciaux communs. Elle ajoute :
« Le Qatar veille à ses intérêts à long terme, notamment en ce qui concerne le gaz naturel, et a vu une occasion d’améliorer sa perception à Washington sans nécessairement faire trop d’efforts à court terme ».
Ainsi, la guerre en Ukraine et la crise énergétique en Europe mettent en lumière l’influence du Qatar dans le domaine du gaz. l’État du Golfe est prêt à ten tirer profit, mais il devra garder un œil sur la transition énergétique pour assurer sa pérennité.