Depuis lundi, l’Union européenne a, en effet, interdit la quasi-totalité des livraisons de pétrole russe acheminé par voie maritime, une nouvelle salve de sanctions contre la Russie en raison de sa guerre menée en Ukraine. A cela s’ajoute un mécanisme de plafonnement des prix approuvé par l’UE, le G7 et l’Australie, prévoyant que seul le brut vendu à 60 dollars maximum le baril pourra continuer à être livré, et qu’au-delà, il sera interdit pour les entreprises basées dans ces pays de fournir les services permettant le transport maritime, notamment l’assurance.
Sur le papier, le plan est simple: frapper la manne financière de la Russie en maintenant son pétrole à un prix bas au lieu de le retirer du marché. Si les analystes s’accordent à dire qu’il est encore trop tôt pour en prédire l’impact, de premiers effets se font déjà sentir.
Embouteillage de tankers
Depuis mercredi, des navires pétroliers attendent, en mer Noire, de pouvoir emprunter les détroits du Bosphore et les Dardanelles, sous contrôle turc. La Turquie exige désormais que les navires désirant emprunter cette route commerciale essentielle pour le transport de brut russe prouvent qu’ils sont couverts, y compris en cas de violation du mécanisme de plafonnement, avec la présentation d’une « assurance protection et indemnisation » (P&I).
Or, les assureurs occidentaux refusent de fournir un engagement général à tous les armateurs. Le London P&I Club a assuré lundi que les « Clubs », des groupes d’assureurs qui mutualisent leurs risques sur ces couvertures maritimes risquées et coûteuses, « ne peuvent et ne devraient pas envoyer » une telle garantie car cela équivaudrait « à une violation des sanctions » occidentales.
Pour Marcus Baker, responsable mondial de la division Marine & Cargo chez Marsh, les Clubs P&I adoptent ici une attitude « pragmatique ». Tous les bateaux commerciaux doivent en effet se doter de cette assurance maritime particulière, couvrant des risques de guerre aux collisions ou dommages environnementaux comme les marées noires.
Quelque 90 à 95% du marché de l’assurance P&I sont entre les mains d’assureurs de l’Union européenne et du Royaume-Uni, qui n’ont du coup plus le droit d’assurer des cargaisons de pétrole vendu plus de 60 dollars le baril. Le mécanisme de plafonnement « ajoute une couche supplémentaire de complexité, à une situation déjà compliquée », avance M. Baker, un effet susceptible de ralentir les exportations de pétrole russe et « avoir l’effet que le G7 désirait de toute façon ».
Contourner les sanctions
Pour autant côté marché, le plafonnement du prix du brut russe en lui-même ne change pas grand-chose, assure Craig Erlam, d’Oanda. L’Oural, la principale variété de référence du pétrole russe, s’échange actuellement déjà sous 60 dollars, le rendant ainsi le plafond inopérant.
En outre, « Moscou s’efforce de contourner l’interdiction de l’assurance en fournissant sa propre couverture aux clients potentiels par l’intermédiaire de la Compagnie nationale russe de réassurance, contrôlée par l’Etat », explique Edoardo Campanella de UniCredit. De nombreux analystes mentionnent aussi une augmentation des « dark tankers » ou navires pétroliers clandestins, dont la propriété n’est pas claire. S’appuyant sur les données de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), M. Campanella affirme que quelque 100.000 barils par jour de chargements de pétrole en septembre « ne comportaient pas d’informations sur la destination », contre 450.000 barils par jour en octobre. Interrogé par l’AFP, un responsable de compagnie de transport maritime spécialisée dans les produits pétroliers raffinés qui a souhaité rester anonyme, défend même qu' »il y a suffisamment de capacité de transport maritime dans ce que l’on peut appeler la flotte fantôme (…) pour que la Russie puisse vendre son pétrole sans tenir compte du plafonnement des prix ».
À cela s’ajoutent les navires qui ne se soucient pas des sanctions, des raffineurs étant prêts à payer le transport de brut russe beaucoup plus cher, car ils seraient encore gagnants en comparaison aux autres variétés de brut qui s’échangent à des prix plus élevés. Selon le responsable, les frais d’expédition « pourraient se situer quelque part entre sept et dix fois le montant normal ».