Presque au moment où l’Équateur annonçait cette semaine qu’il allait arrêter la production pétrolière dans un gisement emblématique en Amazonie, le Brésil vantait des investissements massifs dans les hydrocarbures, prévoyant l’exploration de pétrole près de l’embouchure de l’Amazone.
Le paradoxe du pétrole brésilien : Lula et les défis environnementaux face à la pression énergétique
Un paradoxe pour le gouvernement du président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, qui se présente volontiers en champion de la lutte contre le changement climatique, mais est épinglé pour sa réticence à abandonner les énergies fossiles.
« Nous espérons que le gouvernement brésilien prendra exemple sur l’Équateur », a dit dans un communiqué Marcio Astrini, du collectif d’ONG Observatoire du climat.
Cette question stratégique a également été abordée lors d’un sommet des pays amazoniens il y a deux semaines, dans la ville brésilienne de Belem, mais Lula a fait la sourde oreille quand son homologue colombien Gustavo Petro a appelé à cesser toute exploration de pétrole dans la région. Au contraire, quelques heures après l’annonce lundi du résultat du référendum « historique » en Équateur pour préserver la réserve de Yasuni, la présidence du Brésil, pays qui abrite 60% de la forêt amazonienne, a annoncé un plan d’investissement de 335 milliards de réais (environ 64 milliards d’euros) dans le secteur des hydrocarbures. Ce plan prévoit l’exploration par la compagnie pétrolière publique Petrobras d’un gisement off-shore, le bloc « FZA-M-59 », situé non loin de l’estuaire où le fleuve Amazone se jette dans l’Atlantique.
Ce projet a exposé des divergences au sein du gouvernement Lula. L’agence de protection environnementale Ibama a refusé d’accorder une licence d’exploration à Petrobras, considérant que la compagnie n’avait pas présenté les études nécessaires. Mais le bureau de l’Avocat général de l’Union, qui défend les intérêts du gouvernement, a émis mardi un avis favorable au projet, estimant que ces études n’étaient « pas indispensables ». La ministre de l’Environnement Marina Silva a, elle, fermement appelé au respect des critères « techniques » imposés par l’Ibama.
« Rêve » d’or noir en Amazonie : l’exploration pétrolière de l’administration brésilienne sur la lignée du Guyana malgré la fragilité amazonienne
De retour au pouvoir en janvier après avoir gouverné de 2003 à 2010, Lula, 77 ans, s’est engagé à faire de la préservation de l’Amazonie une priorité, après une flambée de la déforestation sous la présidence de son prédécesseur d’extrême droite Jair Bolsonaro. Mais l’ancien tourneur-fraiseur a déclaré récemment que les habitants du nord du Brésil pourraient « continuer à rêver » d’or noir, malgré les objections de l’Ibama.
Le Guyana, petit pays amazonien à la frontière septentrionale du Brésil, en a extrait énormément dans les eaux voisines depuis 2019, au point d’être surnommé « le Dubaï sud-américain ». Le projet d’exploration du bloc « FZA-M-59 » a suscité de vives critiques de la part d’organisations de défense de l’environnement, de leaders indigènes et des habitants de Marajo, une île située au coeur de l’embouchure de l’Amazone. Ces détracteurs citent notamment des risques d’impact catastrophique pour cette région de mangrove à la biodiversité fragile.
« La majorité de la planète subit les conséquences du fait que certains font de la nature une source de profit », fustige Naraguassu, une militante de 60 ans du peuple autochtone Caruana, lequel tient pour sacré le site où l’Amazone rencontre l’Atlantique. « Les températures ne cessent d’augmenter, la Terre nous dit que quelque chose ne va pas », affirme-t-elle à l’AFP.
Pour Luis Barbosa, de l’Observatoire de Marajo, une ONG locale, c’est « l’existence même » de son île qui est menacée par la montée du niveau des eaux, liée entre autres, selon lui, « à la poursuite de l’utilisation de combustibles fossiles ».
À la croisée des chemins énergétiques : Une exploration pétrolière en Amazonie pour lancer une « transition énergétique durable »
Petrobras estime pour sa part que ce projet « va ouvrir une nouvelle frontière de l’énergie », en vue d’une « transition énergétique durable ». La compagnie relève que le bloc « FZA-M-59 » se trouve à plus de 500 kilomètres de l’embouchure de l’Amazone, et promet un protocole « robuste » pour contenir d’éventuelles fuites. Mais le Brésil, huitième producteur mondial de pétrole, est déjà autosuffisant pour cet hydrocarbure, explique Suely Araujo, spécialiste de l’Observatoire du climat, qui a dirigé l’Ibama de 2016 à 2019.
« Nous vivons une crise climatique, il n’y a aucune raison de persister à vouloir explorer du pétrole dans des zones sensibles », fait-elle valoir.
C’est sous sa direction que l’Ibama a refusé une licence au groupe français Total pour le forage de cinq blocs off-shore dans la même région en 2018. Mme Araujo salue les ambitions du président brésilien dans le combat pour le climat, mais déplore le fait qu’il ne soit pas prêt à abandonner les énergies fossiles. Pour elle, « la grande contradiction du gouvernement Lula, c’est le pétrole ».