L’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, doit s’entretenir avec le président américain notamment pour « assurer la stabilité de l’offre internationale d’énergie », les deux pays étant avec l’Australie les plus gros exportateurs mondiaux de gaz, mais Doha n’a pas de « baguette magique », estiment des experts.
Cette rencontre intervient au moment où les Etats-Unis et les Européens cherchent des alternatives au gaz russe, s’il venait à manquer en cas d’attaque de la Russie contre l’Ukraine. Washington et l’Union européenne ont affirmé vendredi qu’ils collaboraient pour trouver « d’autres sources d’approvisionnement en gaz naturel » pour l’Europe.
L’émir du Qatar, premier pays producteur et exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL), devrait apporter son soutien à l’Europe. Doha souhaite en effet y obtenir une plus grande part du marché et marquer des points face à ses voisins du Golfe pour devenir l’allié clé des Etats-Unis dans la région.
– « Pas de réserves » –
« Des négociations sont en cours » pour rediriger des livraisons de gaz prévues pour les marchés asiatiques vers l’Europe si le président russe, Vladimir Poutine, interrompt les approvisionnements vers l’Europe occidentale », a déclaré à l’AFP un responsable qatari avant la rencontre.
Washington est aussi en contact avec l’Australie pour un approvisionnement alternatif et pourrait augmenter ses exportations, ont indiqué des diplomates.
Par le passé, le Qatar est déjà venu en aide à des pays alliés, assurant notamment un approvisionnement au Japon après le tsunami de 2011 et quatre livraisons spéciales au Royaume-Uni en octobre dernier pour faire face à des pénuries.
Toutefois, le Qatar ayant des contrats à long terme avec d’importants clients en Corée du Sud, au Japon et en Chine, la marge de manoeuvre est faible pour se substituer à la Russie et approvisionner l’Europe.
Le pays du Golfe a atteint son « maximum » pour l’approvisionnement de ses premiers clients, a indiqué le ministre de l’Energie, Saad al-Kaabi, en octobre.
« Le Qatar n’a pas de +baguette magique+ pour répondre aux pénuries de gaz en Europe », estime Bill Farren-Price, directeur du cabinet de conseil en énergie Enverus.
« Il n’a pas les capacités pour un approvisionnement supplémentaire en GNL. Ce n’est pas comme l’Arabie saoudite, qui a des réserves additionnelles en pétrole », ajoute-t-il.
Le Qatar pourrait décider de rediriger un certain nombre de livraisons: « toute pénurie de gaz européen aura des répercussions sur le marché asiatique de GNL », selon M. Farren-Price. Et les consommateurs européens, qui ont déjà des factures record de gaz, devraient payer encore plus cher. « En terme de prix, cela pourrait être très difficile », prévient l’expert.
– Gagner du crédit –
D’après Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres, la décision du Qatar de fournir ou non du gaz à l’Europe sera d’abord prise d’un point de vue économique puis politique.
Le pays est engagé dans une politique d’expansion, visant à accroître sa production annuelle de gaz de 77 millions de tonnes à 127 millions de tonnes d’ici à 2027, tout en cherchant de nouveaux marchés.
L’Europe pourrait ainsi être une cible de choix pour le Qatar, selon M. Krieg, Doha ayant été furieux du manque de confiance de l’Europe, qui avait lancé en 2018 une enquête sur les modalités de ses ventes de gaz.
« Cela pourrait permettre de gagner du crédit en Europe et d’entamer des négociations pour des contrats de longue durée », pense M. Krieg.
Obtenir un rôle central dans le plan de secours d’approvisionnement en gaz pourrait lier encore plus le Qatar aux Etats-Unis, qui disposent d’une importante base militaire dans l’émirat.
« Ils veulent se positionner sur ce créneau d’allié stratégique le plus important pour les Etats-Unis dans le Golfe, indique M. Krieg, et « ils construisent des réseaux d’influence à Washington, institutionnels plutôt que liés à des individus ou des partis ».