Le blocage de sites pétroliers en Libye entraîne un manque à gagner de “60 millions de dollars” par jour, au moment où les prix flambent sous l’impact de la guerre en Ukraine, déplore le ministre du Pétrole et du Gaz dans un entretien à l’AFP.
Ainsi, depuis la mi-avril, la production pétrolière, principale source de revenus de la Libye, est perturbée par une vague de fermetures forcées. La Compagnie nationale de pétrole (NOC), seule autorisée à commercialiser le brut libyen, a annoncé l’arrêt des opérations dans deux importants terminaux pétroliers et la fermeture de nombreux gisements.
“La production a baissé d’environ 600.000 barils par jour”, soit la moitié de son niveau quotidien”, souligne le ministre Mohamad Ahmad Aoun, interviewé dans son bureau à Tripoli. “En calculant le prix de vente à 100 dollars le baril, les pertes quotidiennes sont d’au moins 60 millions de dollars” (environ 57 millions d’euros), ajoute-t-il, alors que le marché est sous pression en raison de la guerre en Ukraine.
Réputation en jeu
Dotée des réserves les plus abondantes d’Afrique, la Libye est en proie à une grave crise politico-institutionnelle, dernier écueil en date dans le processus de transition censé tourner la page des années du régime de Mouammar Kadhafi, renversé en 2011.
En février, le Parlement siégeant dans l’Est a désigné l’ex-ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha, comme nouveau Premier ministre. Mais l’exécutif en place à Tripoli, dirigé par Abdelhamid Dbeibah, refuse de remettre le pouvoir avant la tenue d’élections, pour lesquelles aucune date n’a été fixée.
Considérés comme proches du camp de l’Est et son homme fort, Khalifa Haftar, les groupes à l’origine des blocages réclament le transfert du pouvoir à M. Bachagha ainsi qu’une “répartition équitable” des recettes pétrolières. “Les fermetures affectent les infrastructures pétrolières, en particulier les oléoducs, nuisent à la réputation de la Libye et entraînent une perte de confiance en elle sur le marché international”, regrette M. Aoun. “Quand on livre une quantité donnée à un client et que le lendemain on n’est plus en mesure de le faire, cela fait perdre à la Libye sa place sur le marché international”, martèle-t-il.
De plus, les Etats-Unis se sont dit mercredi “profondément préoccupés” par ces blocages et ont appelé à y mettre fin “immédiatement”. Dans l’interview, M. Aoun a passé sous silence toute dimension politique du blocage: “En apparence, ceux qui appellent à la fermeture disent avoir des revendications pour le développement de leurs régions”.
“Chantage”
Assurant avoir “mis en place un comité” qui est “en contact avec les acteurs dans différentes régions” pour tenter de mettre fin au blocus, il se dit opposé au “chantage” comme moyen de pression, y compris sur l’épineuse question de la répartition des recettes. De fait, les derniers blocages sont survenus après l’annonce du transfert par la NOC de huit milliards de dollars de revenus pétroliers dans les caisses du gouvernement de Tripoli, suscitant l’ire du camp de l’Est.
“Il n’y a aucun pays au monde qui distribue ses recettes. Les citoyens demandent l’amélioration des services de base, la santé, l’éducation, la construction de routes. Chaque citoyen est en droit de le faire, mais nous refusons tout chantage”, insiste M. Aoun.
Ainsi, début 2020, en pleine guerre civile, Khalifa Haftar avait instauré un blocus pétrolier, avant de le lever au bout de quelques mois après l’échec d’une offensive qu’il avait lancée sur la capitale. Ce blocage avait entraîné près de 10 milliards de dollars de pertes. La production est progressivement remontée à 1,2 million de barils par jour, dont l’essentiel est exporté.
“L’Etat libyen est riche en ressources naturelles (…) et dispose d’atouts pour développer les énergies solaires et éoliennes, les ports, le tourisme”, énumère le ministre, en appelant à “réduire la dépendance aux énergies fossiles”. Outre les fermetures, le secteur pétrolier pâtit de relations notoirement exécrables entre M. Aoun et le patron de la NOC, Mustafa Sanalla, principal interlocuteur des compagnies pétrolières internationales. “Sanalla ne respecte pas les lois qui régissent le secteur et outrepasse ses prérogatives”, accuse le ministre, qui a tenté en vain ces derniers mois de suspendre le patron de la NOC, en poste depuis 2014.