Le secteur australien de l’hydrogène renouvelable traverse une phase de consolidation brutale, marquée par le retrait de BP du projet Australian Renewable Energy Hub (AREH) de 26 gigawatts en juillet 2024 et l’abandon par Fortescue de trois projets totalisant 680 mégawatts. Ces décisions interviennent paradoxalement alors que le gouvernement australien vient de débloquer 22,7 milliards de dollars australiens dans son plan Future Made in Australia, incluant une incitation fiscale de 2 dollars par kilogramme d’hydrogène produit entre 2027 et 2040. L’écart entre le coût de production actuel, oscillant entre 5 et 6 dollars le kilogramme, et le seuil de rentabilité fixé à 2 dollars, illustre les défis économiques persistants du secteur.
InterContinental Energy reprend les rênes après le départ de BP
InterContinental Energy, détenant désormais 26,39% du projet AREH, a confirmé la poursuite des opérations avec CWP Global (10,04%) suite au retrait de BP. Le consortium maintient l’objectif de produire 1,6 million de tonnes d’hydrogène ou 9 millions de tonnes d’ammoniac par an, ciblant une première production d’électrons verts fin 2027. Alexander Tancock, directeur général d’InterContinental Energy, a souligné que le projet bénéficie toujours du statut de projet majeur accordé par le gouvernement fédéral en mai 2024, garantissant un accompagnement administratif prioritaire.
Le Western Green Energy Hub, autre mégaprojet d’InterContinental Energy et CWP Global, a même vu sa capacité augmentée de 50 à 70 gigawatts, représentant un investissement potentiel de 100 milliards de dollars australiens. Le projet a signé un accord de collaboration avec Korea Electric Power Corporation (KEPCO) en septembre 2024 pour l’étude de faisabilité de la première phase, avec une décision finale d’investissement prévue pour 2029. La participation de Mirning Green Energy Limited, filiale détenue intégralement par la Mirning Traditional Lands Aboriginal Corporation, à hauteur de 10% avec un siège permanent au conseil d’administration, établit un nouveau modèle de partenariat avec les propriétaires traditionnels des terres.
Fortescue abandonne 150 millions de dollars d’investissements
Fortescue a enregistré une dépréciation de 150 millions de dollars américains suite à l’annulation de ses projets PEM50 à Gladstone (50 MW) et Arizona Hydrogen (80 MW). La société a également abandonné définitivement son projet Gibson Island de 550 mégawatts en novembre 2024, après que son partenaire Incitec Pivot a annoncé la vente du site. L’entreprise doit rembourser 40 millions de dollars australiens de subventions gouvernementales accordées pour ces développements. Mark Hutchinson, directeur général de Fortescue Energy, a néanmoins maintenu l’usine d’électrolyseurs de 2 gigawatts à Gladstone, opérationnelle depuis avril 2024, positionnant l’entreprise comme fabricant d’équipements plutôt que producteur d’hydrogène.
Le changement de stratégie de Fortescue reflète une tendance plus large du secteur. Woodside Energy a annulé son projet H2OK de 60 tonnes par jour en Oklahoma en juillet 2024, citant l’escalade des coûts et une demande plus faible qu’anticipée. Ces retraits successifs interviennent dans un contexte d’incertitude politique aux États-Unis, où l’administration Trump a signalé un changement de priorités éloignées de l’énergie verte, mettant en péril les crédits d’impôt de 3 dollars par kilogramme prévus par l’Inflation Reduction Act.
Le gouvernement maintient ses objectifs malgré les turbulences
La stratégie nationale hydrogène 2024 maintient des objectifs ambitieux de production d’un million de tonnes annuelles d’ici 2030 et 15 millions de tonnes d’ici 2050, avec un objectif d’export de 200 000 tonnes par an dès 2030. Le programme Hydrogen Headstart, doté de 4 milliards de dollars australiens, a présélectionné six projets représentant 3,5 gigawatts de capacité d’électrolyseurs en décembre 2023. L’Australian Renewable Energy Agency (ARENA) administre également 1,7 milliard de dollars australiens via le Future Made in Australia Innovation Fund pour le déploiement de technologies innovantes dans les secteurs prioritaires, incluant les dérivés de l’hydrogène comme les carburants liquides bas carbone et les métaux verts.
Sept hubs régionaux d’hydrogène reçoivent plus de 500 millions de dollars australiens d’investissements gouvernementaux conjoints fédéraux et étatiques. Le Pilbara Hydrogen Hub, bénéficiant de 140 millions de dollars australiens, devrait être opérationnel mi-2028. Le Port Bonython Hub en Australie-Méridionale a franchi une étape majeure en février 2024 avec cinq entreprises signant des accords de développement pour utiliser l’installation.
L’emploi et les compétences deviennent le goulot d’étranglement
Le secteur devrait créer 17 000 emplois et contribuer 26 milliards de dollars australiens au produit intérieur brut d’ici 2050 selon les projections du Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (CSIRO). Cependant, le rapport de PwC sur l’analyse nationale des compétences hydrogène identifie une pénurie critique dans tous les métiers clés, des ingénieurs chimiques aux techniciens spécialisés. L’analyse révèle que 33% de la main-d’œuvre nécessaire à la transition énergétique devra être spécifiquement formée pour l’hydrogène d’ici 2050, représentant un défi majeur pour un secteur déjà en compétition avec d’autres projets d’infrastructure pour les travailleurs qualifiés.
Les cycles d’emploi présentent des variations extrêmes, avec des fluctuations pouvant atteindre 45 000 postes sur deux ans dans le scénario d’économie exportatrice d’hydrogène. Cette volatilité complique le recrutement et la rétention des talents, particulièrement dans les régions éloignées où se situent la majorité des projets. Le Queensland a investi 10,6 millions de dollars australiens dans une installation de formation à l’hydrogène et aux énergies renouvelables au Bohle TAFE à Townsville, tandis que l’Australie-Méridionale développe sa stratégie de main-d’œuvre hydrogène 2022-2032.
La compétitivité internationale reste le défi majeur
L’analyse comparative des coûts révèle que l’hydrogène vert nécessite un prix de l’électricité inférieur à 35 dollars le mégawattheure pour concurrencer l’hydrogène bleu produit à partir de gaz naturel avec capture et séquestration du carbone. Dans les régions où le gaz naturel reste en dessous de 15 euros le mégawattheure, l’hydrogène bleu conserve un avantage compétitif jusqu’en 2040 minimum, à condition d’atteindre des taux de capture de CO2 supérieurs à 90% et des fuites de méthane inférieures à 1%. Une taxe carbone entre 100 et 200 dollars américains par tonne de CO2 serait nécessaire pour rendre l’hydrogène vert globalement compétitif selon les études sectorielles récentes.
Les coûts logistiques ajoutent une complexité supplémentaire. L’hydrogène liquéfié coûte quatre à six fois plus cher à transporter par navire que le gaz naturel liquéfié, tandis que la conversion en ammoniac pour le transport entraîne des pertes énergétiques de 20 à 25% supplémentaires lors de la synthèse, du transport maritime et du craquage. L’Australie fait face à la concurrence de projets massifs au Moyen-Orient, où l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis développent des capacités importantes avec des coûts de production potentiellement inférieurs grâce à l’accès au gaz naturel bon marché et aux vastes ressources solaires.
L’Australie maintient néanmoins le plus grand pipeline mondial de projets hydrogène avec plus de 100 initiatives représentant 225 milliards de dollars australiens d’investissements potentiels, soit 20% de tous les projets annoncés globalement. Le pays a signé un accord de 660 millions de dollars australiens avec l’Allemagne pour le programme H2Global en septembre 2024, partageant équitablement les coûts pour développer les chaînes d’approvisionnement internationales. Les analystes du secteur observent une correction nécessaire après l’optimisme initial excessif, les acteurs restants comme InterContinental Energy et CWP Global reprenant les projets viables tandis que les majors pétrolières se recentrent sur des initiatives plus modestes alignées avec leurs stratégies de transition énergétique révisées.