L’Allemagne fait face à une saturation sans précédent des demandes de raccordement pour les systèmes de stockage d’énergie par batterie (BESS — battery energy storage system), forçant les autorités à envisager une réforme profonde des règles d’accès au réseau. Le nombre de projets en attente dépasse largement la capacité disponible, alors même que le pays cherche à accélérer la flexibilité de son système électrique après la sortie du nucléaire.
Une file d’attente massive et peu réaliste
Selon les données publiées par l’Agence fédérale des réseaux (Bundesnetzagentur), environ 9 710 demandes de raccordement de BESS ont été déposées en 2024, représentant un volume théorique de 400 GW et 661 GWh. Ces chiffres contrastent fortement avec les installations actuellement en service, qui ne dépassent pas 2,3 GW pour les puissances moyennes et supérieures. Ce déséquilibre alimente une file d’attente dont l’ampleur soulève des doutes sur la viabilité réelle de nombreux projets.
La majorité des demandes correspond à une stratégie d’occupation de position sur le réseau, profitant du principe de priorité au dépôt (“premier arrivé, premier servi”) sans garantie de réalisation effective. En l’absence de critères de maturité stricte – tels que permis, terrain sécurisé ou financement bouclé – ces projets deviennent des options spéculatives plus que des investissements structurés.
Des signaux de saturation sur les marchés de revenus
Parallèlement à cette pression sur les infrastructures, les perspectives économiques des BESS évoluent rapidement. Le marché de l’arbitrage intraday commence à subir une compression des écarts de prix, à mesure que la capacité installée augmente et que les pics de prix sont absorbés. Les services système, tels que la régulation de fréquence, affichent également des signes de saturation. Ces évolutions limitent les revenus des projets “merchant” et renforcent la sélection par la performance opérationnelle et l’optimisation logicielle.
Les analystes observent une dispersion croissante des revenus : les actifs mieux localisés ou disposant d’une technologie de pilotage avancée captent une prime, tandis que les autres voient leurs marges se réduire. Dans ce contexte, la qualité du point de raccordement devient un facteur déterminant dans la rentabilité des projets.
Berlin amorce une réforme du cadre de raccordement
Face à cet engorgement, le ministère fédéral de l’Économie et de la Protection du Climat travaille sur une réforme ciblée des règles de raccordement. Une consultation est en cours pour retirer les grands projets BESS (au-delà de 100 MW) du cadre réglementaire commun aux centrales électriques (KraftNAV). Cette évolution vise à adapter le régime juridique aux spécificités des projets de stockage, en leur attribuant des procédures différenciées.
Parallèlement, la décision rendue en juillet 2025 par la Cour fédérale de justice (Bundesgerichtshof) autorise le recours à des modèles de coûts différenciés pour le raccordement, ce qui pourrait accroître la variabilité des investissements selon la localisation. Ce nouveau risque “réseau” modifie les paramètres d’évaluation financière et pourrait peser sur les portefeuilles d’actifs en cours de développement.
Un basculement vers un marché de capacité
L’Allemagne prévoit de mettre en place un mécanisme de capacité d’ici à 2028. Cette réforme introduirait une rémunération basée sur la disponibilité, susceptible de stabiliser une partie des revenus des BESS capables de fournir une puissance pilotable sur demande. Toutefois, l’entrée dans ce mécanisme dépendra du respect de critères de performance stricts, ce qui pourrait exclure une partie des projets actuellement en file.
Cette orientation stratégique marque une transition vers un modèle plus contractualisé, réduisant l’exposition aux aléas de marché. Elle pourrait redéfinir la hiérarchie des actifs “bankables”, en favorisant ceux qui disposent à la fois d’un raccordement confirmé et d’un profil technique conforme aux exigences de disponibilité.