Depuis le 24 février 2022, la guerre d’Ukraine clive les différentes nations européennes. Si les principaux troubles sont diplomatiques, d’autres se traduisent par des leviers politiques plus indirects. En Europe, la situation russe divise et inquiète, notamment en Allemagne.
L’Allemagne veut se prévenir
Sur le vieux continent, la Hongrie bloque le projet d’embargo européen. Emmanuel Macron poursuit les discussions avec Viktor Orban. Du côté de la première puissance économique européenne, on se prépare à une éventuelle rupture brutale des importations russes. L’agence de presse Reuters déclare :
« Les autorités allemandes se préparent discrètement » à cette hypothèse ».
Une théorie qui gagne en crédibilité au vu de l’interruption des exportations de gaz vers la Pologne et la Bulgarie par Gazprom le mois dernier. Gazprom se justifie en expliquant le refus de ces États à payer en roubles. Le Kremlin a rejeté les accusations selon lesquelles elle utilisait l’approvisionnement en gaz naturel comme moyen de chantage.
Le pouvoir russe et Gazprom en ont profité pour affirmer qu’ils étaient des producteurs d’énergie fiable. Reuters souligne cependant :
« Ils n’ont pas immédiatement répondu à la demande de commentaire sur la fiabilité de l’approvisionnement ».
Berlin aimerait désormais se fixer une ligne directrice après avoir hésité à soutenir les sanctions sur le charbon et le pétrole.
Une stratégie allemande dépendante de l’Europe
L’Allemagne prévoit de soutenir massivement ses entreprises énergétiques. Berlin examine des solutions allant de prêts supplémentaires à une possible nationalisation de certaines entreprises. Cependant, le plan d’urgence final du gouvernement n’a pas encore été finalisé.
Pour l’instant, le pays cherche surtout à éviter une escalade des sanctions. Leur future participation à l’embargo européen sur le gaz et aux sanctions sur le charbon et le pétrole vise une réponse européenne collective. Mais Berlin craint dorénavant que la Russie ne coupe les flux de gaz de manière unilatérale et veut être en mesure d’y faire.
Pour Reuters, le ministère allemand de l’Économie a cité le vice-chancelier Robert Habeck pour qui le pays avait fait des « efforts intenses » pour réduire sa consommation d’énergie russe. En avril, Berlin a approuvé une modification juridique lui permettant de prendre le contrôle de sociétés énergétiques en dernier recours.
L’Allemagne se prépare à soutenir ses entreprises
La mesure évoquée pourrait être utilisée pour prendre le contrôle de la raffinerie PCK exploitée par la société russe Rosneft. Cette action serait envisagée par le pouvoir afin d’aider cette raffinerie qui représente la majeure partie des importations de pétrole russe. Le site pourrait être sensiblement impacté par la menace d’un embargo pétrolier de l’Union européenne.
En lien avec le pétrole, la flambée des coûts d’approvisionnement a obligé le service public régional allemand EnBW à prendre des mesures. Ce dernier a déclaré que la crise ukrainienne a fait augmenter les prix du carburant de plus d’un tiers. Les prix de l’approvisionnement de base augmenteront de 34,8 %, soit 0,0292 euro par kWh, à compter du 1er juillet 2022 selon EnBW.
L’Allemagne a affirmé vouloir se débarrasser du pétrole et du charbon russe suite à l’invasion en Ukraine. Cependant, son envie d’indépendance aux énergies fossiles ne pourrait complètement se faire sans embargo sur le gaz. Si l’importation de gaz russe n’est plus majoritaire selon Blue News, 35 % actuellement contre 55 % avant la crise, le pays ne peut pas s’en priver avant 2024.
Un front commun allemand à moindres mesures
Reuters assure que l’Allemagne a atteint la limite des sanctions qu’ils peuvent imposer sans déclencher une spirale économique néfaste. Selon eux, même les membres de la coalition gouvernementale qui soutiennent sans réserve la pénalisation de Moscou hésitent à imposer des sanctions sur le gaz.
Les dirigeants d’entreprises ont demandé au gouvernement de ne pas les obliger à faire des efforts dans l’immédiat. Cependant, ces derniers ont fait savoir à Berlin qu’ils se préparaient à réduire leurs liens avec la Russie dans le domaine de l’énergie.
Berlin a également été influencé par ces derniers. Les directeurs généraux des plus grandes sociétés allemandes et les représentants d’entreprises ayant des liens avec la Russie auraient régulièrement fait pression. L’objectif étant qu’ils n’interdisent pas le gaz russe, selon une source de l’agence de presse britannique.
La banque publique de développement au cœur du projet
La principale puissance économique de l’UE pourrait également prendre des participations dans d’autres entreprises, selon Reuters. Il y a quatre ans, la banque publique de développement KfW a fait une démarche similaire en achetant 20 % de l’opérateur de réseau énergétique 50Hertz. À l’époque, le but était de contrecarrer une offre de la société chinoise State Grid.
Ainsi, les responsables examinent comment la KfW pourrait alléger la pression sur les entreprises critiques. Cela se ferait au travers de prêts supplémentaires ou des lignes de crédit d’urgence. Des solutions potentiellement utilisables si les prix de l’énergie s’envolent et déclenchent des appels de marge coûteux sur leurs positions de marché.
L’entreprise gazière Uniper avait déjà reçu de l’aide de la KfW au début de l’année 2022. La banque publique de développement a aussi secouru l’exploitant de centrales à charbon Leag pour faire face à la volatilité des marchés de l’énergie. Reuters déclare que la KfW a refusé de commenter sur les entreprises allemandes qu’elle a aidées.
Le rationnement en ultime recours
Forte de son industrie, l’Allemagne prévoit malgré tout une éventuelle pénurie qui obligerait à un rationnement du gaz. Une situation d’urgence pourrait amener à cette décision. Cependant, le pouvoir allemand a déclaré qu’il renversera sa politique actuelle de priorité à l’énergie dans ce cas-là.
L’autorité de régulation envisage de donner la priorité à l’industrie sur les ménages. Les ménages deviendraient alors les premiers à devoir faire des sacrifices.
Pour le moment, ils craignent qu’en restreignant également le gaz, les prix ne s’envolent. Une dynamique qui permettrait à Moscou d’encaisser des ventes en dehors de l’Union européenne. Ainsi, le pouvoir russe n’aurait pas besoin de puiser outre mesure dans son trésor de guerre, rendant les sanctions vaines.