Il va falloir introduire de la « sobriété » partout dans notre société, et que les pouvoirs publics accompagnent ce mouvement, « car la question n’est pas de passer le prochain hiver mais les 50 prochaines années », explique Benoît Leguet, directeur d’I4CE, l’Institut de l’économie du climat, et membre du Haut conseil pour le climat (HCC), au jour de la présentation par le gouvernement de son plan de sobriété.
Pourquoi a-t-on besoin de mettre de la sobriété dans nos modes de consommation et de production?
« L’accord de Paris sur le climat s’est traduit pour l’UE et la France par un engagement de neutralité carbone en 2050, c’est-à-dire… demain! Or il y a peu de leviers pour ramener à zéro les émissions de gaz à effet de serre. Le premier est de faire de l’électricité et de la chaleur bas carbone. Le deuxième est l’efficacité énergétique: on fait la même chose mais avec moins d’énergie, par exemple chauffer un logement isolé. Le troisième est la sobriété: vous cherchez à modifier la demande. Par exemple, la consigne pour le chauffage est 19°C et non 22. Tous les scénarios pour atteindre la neutralité carbone prévoient un
mélange de ces trois leviers. Il y en a si peu qu’on ne peut pas négliger la
sobriété. Pour autant, ce n’est pas la fin de l’abondance, c’est la fin de
l’ébriété. Car la question n’est pas de passer le prochain hiver mais les 50
prochaines années. »
N’est-ce pas sacrifier nos modes de vie?
« Un économiste parlerait d’utilité marginale: dans une entrecôte, vous allez surtout apprécier les 150 premiers grammes; au-delà, ce sera sans doute plus douloureux qu’autre chose! Boire un verre avec des amis ça peut être agréable, mais trois, ou plus, ne le paie-t-on pas le lendemain? En fait, l’idée de sobriété nous invite à réfléchir à nos besoins: ai-je vraiment besoin de cela? Ai-je besoin de prendre ma voiture pour acheter une baguette ou puis-je faire autrement, faire des pâtes par exemple? Ce n’est pas synonyme de mal vivre. Cela a aussi un impact sur le porte-monnaie: une voiture a un coût, et d’un point de vue strict de l’usage, un vélo à assistance électrique ne peut-il pas faire le même job? »
Comment faire? L’incitation seule peut-elle suffire?
« La sobriété ne se décrète pas, mais elle s’accompagne. Il y a d’abord l’information, l’éducation. Au Japon, quand il fait plus de 25°C, la norme sociale est de ne pas mettre de cravate au bureau. C’est donc d’abord beaucoup de bon sens, éteindre les lumières… Ça peut se faire dès demain, comme ces pistes cyclables qui ont fleuri du jour au lendemain avec le Covid. Mais ensuite, il faudra des investissements. Si vous voulez que les gens roulent à vélo, il faut: des vélos, des itinéraires sécurisés, et aussi tout un aménagement du territoire. Tout cela nécessite de l’argent public. Combien? I4CE a étudié les investissements nécessaires à quatre scénarios de transition énergétique, et le scénario +sobre+ est celui qui a le moins besoin d’argent public. Pour un gouvernement qui applique un bouclier tarifaire sur les factures d’énergie, tout en voulant réduire les déficits sans augmenter les prélèvements, n’est-ce pas une bonne option, à la fois pour la planète et les finances?
Il faut aussi planifier, et donc avoir une vision de là où on veut aller, ce qui va poser de vraies questions: quelle France veut-on? Comment se déplace-t-on, se nourrit-on? Et envoyer des signaux clairs aux ménages, aux entreprises, aux collectivités… par les normes, la fiscalité, des budgets publics prévus pour que la transition ne soit pas la variable d’ajustement… La France a cette habitude de fixer des objectifs sans se préoccuper des moyens. Au bout de cinq ans, on constate qu’on y n’est pas, alors on se fixe des objectifs encore plus ambitieux, c’est absurde!
De ce plan sobriété du gouvernement, j’attendrai donc une traduction budgétaire pour accompagner le pays, dès le projet de loi de finances 2023 et au moins sur les cinq prochaines années. Car les objectifs sans moyens derrière, j’ai du mal à y croire. »