À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les pays Occidentaux ont réagi en sanctionnant massivement l’économie russe et sa production importante d’hydrocarbures. En réaction, la Russie a imposé des sanctions contre des unités de Gazprom Germania, dont son producteur de gaz Gazprom a cédé la propriété. De plus, EuRoPol GAZ SA, propriétaire de la partie polonaise du gazoduc Yamal-Europe se trouve également sanctionné. Les spécialistes interviewés par Reuters tentent d’analyser les conséquences de ces mesures.
Des mesures de rétorsion de la part de Russie
Andrew Lipow, président de Lipow Oil Associates à Houston, souligne que les Européens trouveront des solutions de contournement aux rétorsions. Ceci en créant de nouvelles entités ou filiales qui ne figurent pas sur la liste des sanctions. Toutefois, cela montre que le divorce énergétique entre l’Europe et la Russie devient plus amer.
Phil Flynn, analyste chez Price Futures Group à Chicago, déclare que ces mesures nous rappellent que la Russie détient toujours toutes les cartes en matière de sécurité énergétique. L’objectif de la Russie et d’avertir le secteur énergétique européen qu’il peut être touché à tout moment.
« C’est un autre facteur de soutien pour le gaz naturel, tant au niveau national qu’international. La menace sur l’approvisionnement reste actuelle et le niveau de menace est élevé. S’il y a des événements météorologiques, il peut y avoir un vrai problème. »
Selon John Kilduff, associé chez Again Capital LLC à New York, cette situation est un nouveau pas en avant vers la limitation de l’approvisionnement en gaz naturel et en hydrocarbures de la Russie vers l’Ouest. C’est un changement radical pour le marché du gaz naturel qui devient un reflet plus global de ce qui se passe dans le monde. Toutes ces matières premières énergétiques sont liées entre elles. Plus les approvisionnements se ferment, plus il devient difficile de vouloir imposer des restrictions.
Accélération de la diversification de l’approvisionnement en Europe ?
Kaushal Ramesh, analyste principal au cabinet de conseil Rystad Energy, estime cette situation va accélérer les efforts de l’Europe à se procurer du GNL supplémentaire. Cela pourrait également contribuer à accélérer les plans pour une alliance d’acheteurs et une entente sur le rationnement du gaz.
« Les niveaux de stockage sont actuellement suffisants pour tenir jusqu’à la majeure partie de 2022. Ceci même si les flux russes devaient s’arrêter instantanément, sauf événement météorologique inattendu. Mais les perspectives d’approvisionnement pour l’hiver 2022 sont désormais beaucoup plus pessimistes. »
Jamie Webster, chercheur au centre de politique énergétique mondiale de l’Université de Columbia, souligne que les sanctions ont un sens dans la mesure où l’Europe se demande si elle va arrêter d’importer du brut et des produits en provenance de Russie, ce qui frappe la Russie du point de vue des revenus. Toutefois, il estime que les sanctions sur le gaz sont douloureuses pour l’Europe.
« En fait, chacun choisit ce qui va causer le plus de douleur économique à l’autre. Sans pour autant mettre en danger sa propre économie. La grande question sera, à mesure que nous entrons dans l’hiver nordique, de savoir comment les économies vont faire face à cette situation. Il est difficile de trouver des quantités supplémentaires de gaz naturel. »
Des sanctions avant tout symboliques
Ramanan Krishnamoorti, responsable de l’énergie à l’Université de Houston, estime que les sanctions gazières imposées par la Russie sont symboliques. Aussi, elles peuvent maintenir la pression sur les prix du GNL en Europe. Une pression existe également pour le redémarrage de centrales à charbon ou nucléaire. Néanmoins, à court terme, cela ne devrait pas avoir beaucoup d’implications.
Toutefois, Krishnamoorti souligne que le défi se présentera à la fin de l’automne et en hiver en Europe. Les chances sont maigres pour que l’Europe possède d’ici-là assez de capacité afin de combler la demande de gaz hivernale. Par conséquent, cela risque de provoquer un ralentissement de la production industrielle et de faire entrer l’Europe en récession. Les échanges mondiaux de GNL et les pressions sur l’approvisionnement en gaz aux États-Unis vont être mis à rude épreuve.
« Pour la Russie, en revanche, l’intention est claire : il s’agit de rendre la pareille aux actions de l’Europe occidentale et de contrôler les revenus et les flux de gaz. Cela entraîne également une réorientation claire de leurs exportations vers la Chine, principalement par pipeline. »
Krishnamoorti estime pourtant que les impacts à court terme sur l’économie seront probablement faibles. Néanmoins, à long terme et compte tenu de l’hiver, cela pourrait être difficile pour la Russie de reconstruire l’économie et le flux de revenus provenant du pétrole et du gaz.
« Enfin, pour la Chine, il s’agit d’une énorme opportunité d’obtenir du gaz naturel à faible coût qui n’a pas de concurrence pour son utilisation. De plus, elle peut l’utiliser pour soutenir et développer son industrie manufacturière et son économie. »