Uniper, EDF, Fortum: la crise provoquée par l’invasion russe de l’Ukraine a poussé plusieurs Etats européens à voler au secours d’entreprises énergétiques jugées essentielles avec des aides voire une nationalisation. Des interventions exceptionnelles sur un marché de l’énergie largement libéralisé ces dernières années.
Quelles interventions?
L’Allemagne a engagé mercredi la nationalisation à 99% du géant de l’énergie Uniper, asphyxié par les coupures de gaz russe, pour éviter la faillite du plus grand importateur allemand de gaz, et ainsi un éventuel séisme sur le marché de l’énergie.
Berlin avait par ailleurs auparavant mis sous tutelle la filiale allemande de Gazprom et y a injecté une aide de 9 à 10 milliards d’euros. En parallèle, Paris a entamé le processus de renationalisation complète d’EDF, qui a subi au premier semestre une perte historique de 5,3 milliards d’euros.
“À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles”, résume pour l’AFP Elvire Fabry, chercheuse en politique commerciale à l’Institut Jacques Delors.
Le principal fournisseur d’électricité autrichien a obtenu un prêt de deux milliards d’euros et le géant finlandais Fortum, déjà détenu à 50,7% par l’Etat, bénéficie d’un prêt public de 2,35 milliards. Le gouvernement suisse a accordé un crédit cadre de quatre milliards de francs suisses (4,1 milliards d’euros) au groupe Axpo.
“Le soutien des Etats est crucial pour prévenir un effondrement du marché”, confirment dans une note les analystes de l’agence de notation Scope.
Uniper et EDF, des cas particuliers?
En Allemagne, la nationalisation d’Uniper rappelle l’entrée de l’Etat au capital de Lufthansa, sauvé de la faillite au début de la pandémie de Covid-19 en 2020.
“Uniper est systémique et doit être protégé”, selon Claudia Kemfert, économiste spécialiste de l’énergie à l’institut allemand DIW.
Face à une flambée des prix “jamais vue”, “on ne peut pas laisser les fournisseurs d’énergie faire faillite à cause de l’impact sur les consommateurs”, explique Jonathan Stern, professeur à l’Institut d’études énergétiques à Oxford, qui suit le secteur depuis les années 1970.
Côté EDF, “ce n’est pas une nationalisation au sens où on pouvait l’entendre dans les années 1980, ou même une nationalisation comme au moment du Covid, où les États sont allés au secours de leurs grandes sociétés nationales”, explique Jean-Michel Gauthier, directeur de la chaire énergie et finance à HEC Paris.
L’offre publique d’achat pour les actions non détenues par l’Etat doit donner à EDF, déjà sous contrôle public à près de 85%, la possibilité d’emprunter à moindre coût, de se réorganiser plus facilement et de devenir le “bras armé” de l’Etat dans le verdissement de sa politique énergétique et la conquête d’une plus grande souveraineté en la matière.
“Complètement contrôler l’entreprise n’est pas insensé” mais “en même temps, il ne restera plus beaucoup d’argent à dépenser” après une coûteuse acquisition, relève M. Stern.
Quelles conséquences sur le long terme?
Si l’Etat allemand s’est complètement retiré la semaine passée du capital de sa compagnie nationale Lufthansa, de retour dans le vert, “deux années cela semble court” pour envisager la privatisation d’Uniper, estime M. Stern.
La France “pourrait bien” revendre une partie des actions d’EDF mais “non seulement la crise devra s’estomper, mais aussi toute la situation autour du nucléaire devra s’améliorer”, détaille le chercheur britannique dans une allusion aux retards de constructeurs de réacteurs et aux problèmes de corrosion.
Mais cela ne signera pas nécessairement la fin des interventions publiques et, dans certains pays, “il est possible que nous retournions à quelque chose qui ressemble au marché de l’énergie d’avant 1990″ et un marché “moins libéral et compétitif”, ajoute t-il.
“On observe un retournement de rhétorique”, analyse M. Gauthier. “On est en train de détricoter des décennies de constitution d’un marché unique européen.”
Sans qu’il ne s’agisse d’une “inflexion fondamentale” de la politique d’Etats européens traditionnellement attachés au libre-échange, les prises de participation “ne correspondent pas simplement à la gestion d’une crise” mais également à une “prise en compte plus forte d’un enjeu de sécurité économique”, selon Mme Fabry.
“Il ne s’agit pas simplement de sauver des entreprises”, dit-elle, mais “d’assurer des approvisionnements stratégiques”, et les États pourront jouer un “rôle différent dans le fonctionnement de l’économie”.