L’imposition de tarifs de 50% par Washington catalyse une réorientation stratégique du commerce brésilien vers l’Asie et l’Europe. Les données commerciales de 2024 montrent que la Chine absorbe déjà 46% des exportations de pétrole brut brésilien et 71% du minerai de fer, soit 276,79 millions de tonnes. Cette dépendance s’intensifiera mécaniquement alors que les exportateurs brésiliens cherchent à compenser les pertes sur le marché américain. Les négociateurs brésiliens ont immédiatement relancé les discussions pour finaliser l’accord commercial Union européenne-Mercosur, en suspens depuis deux décennies.
Accélération de l’intégration sino-brésilienne
La réponse brésilienne aux tarifs américains passe par un approfondissement des liens avec Pékin. Les entreprises d’État chinoises préparent des investissements massifs dans les infrastructures portuaires et ferroviaires brésiliennes pour faciliter l’exportation de commodités. Le projet de ligne ferroviaire reliant les zones de production agricole du Mato Grosso aux ports du Pacifique via le Pérou gagne en urgence. Cette infrastructure réduirait les coûts logistiques de 30% pour les exportations vers l’Asie.
Les raffineries chinoises adaptent déjà leurs processus pour maximiser l’utilisation du pétrole lourd du pré-sel brésilien. Sinopec et PetroChina négocient des contrats d’approvisionnement à long terme dépassant 1 million de barils par jour d’ici 2027. Le yuan gagne du terrain comme devise de règlement pour ces transactions, réduisant la dépendance au dollar. Les accords de swap de devises entre les banques centrales facilitent cette transition monétaire.
L’Europe saisit l’opportunité sud-américaine
Bruxelles perçoit dans la crise commerciale américano-brésilienne une fenêtre pour conclure l’accord UE-Mercosur. Les négociateurs européens assouplissent leurs demandes environnementales, priorité devenant l’accès aux ressources critiques brésiliennes. L’Allemagne et la France, initialement réticentes, réévaluent leur position face aux enjeux de sécurité énergétique et d’approvisionnement en métaux pour la transition verte. Les constructeurs automobiles européens voient dans le marché brésilien une alternative à la Chine pour leur expansion.
Les entreprises européennes positionnées au Brésil anticipent des gains de compétitivité face à leurs concurrents américains. Airbus pourrait bénéficier indirectement si les tensions affectent les ventes Boeing, malgré l’exemption d’Embraer. Les groupes énergétiques européens comme Shell, TotalEnergies et Equinor renforcent leurs positions dans l’exploration pré-sel. Les investissements directs européens au Brésil pourraient doubler d’ici 2027 selon les projections de la Chambre de commerce européenne.
Reconfiguration des chaînes régionales latino-américaines
Le Mexique et l’Argentine émergent comme plateformes de réexportation pour contourner les tarifs américains. Les maquiladoras mexicaines préparent des capacités additionnelles pour transformer des produits brésiliens semi-finis. Cette stratégie exploite les règles d’origine de l’USMCA permettant l’accès duty-free au marché américain. Les coûts additionnels de 5-7% restent inférieurs à l’impact des tarifs directs de 50%.
L’Argentine, partageant une frontière terrestre avec le Brésil, développe des zones franches spécialisées. Les produits brésiliens y subissent une transformation minimale pour qualifier comme origine argentine. Le gouvernement Milei, favorable au libre-échange, facilite ces arrangements malgré la compétition historique avec le Brésil. Les flux commerciaux intra-Mercosur augmentent de 15% au premier semestre 2025.
Nouveau paysage géoéconomique émergent
Les projections économiques suggèrent une transformation structurelle du commerce hémisphérique d’ici 2030. La part américaine dans le commerce extérieur brésilien pourrait chuter de 15% actuellement à moins de 10%. Parallèlement, la Chine consoliderait sa position de premier partenaire commercial, potentiellement dépassant 35% du total. L’Europe maintiendrait sa part autour de 20% mais avec une composition différente, plus axée sur les technologies vertes et les services.
Cette reconfiguration affecte l’influence géopolitique américaine en Amérique latine. Le Brésil, économie dominante régionale, entraîne ses voisins dans cette réorientation. Les institutions financières chinoises augmentent leurs prêts d’infrastructure, supplantant progressivement la Banque interaméricaine de développement. La dollarisation recule alors que les accords de compensation en devises locales se multiplient. Les analystes de stratégie notent que les tarifs Trump pourraient paradoxalement accélérer le déclin de l’hégémonie économique américaine dans ce que Washington considérait historiquement comme son arrière-cour.