La question de savoir si la dépollution du carburant des navires contribue paradoxalement au réchauffement climatique fait l’objet d’un débat scientifique intense. Depuis la mise en place en 2020 de la réglementation de l’Organisation maritime internationale (OMI), visant à réduire la teneur en soufre des carburants maritimes, une nouvelle étude met en lumière les conséquences inattendues de cette mesure.
Impact des Émissions de Soufre
Selon Tianle Yuan, chercheur à l’Université du Maryland et auteur principal de l’étude publiée dans Communications Earth & Environment, cette réglementation a significativement réduit les émissions de soufre des navires, abaissant ces dernières de 80 % depuis 2020. Cependant, cette réduction a également supprimé l’effet refroidissant des aérosols soufrés, qui réfléchissent et absorbent les rayons du soleil et favorisent la formation de nuages moins absorbants de chaleur que les océans. Ce phénomène pourrait avoir contribué à l’augmentation record des températures en 2023 et 2024. En effet, les auteurs de l’étude estiment que cette réduction des émissions pourrait entraîner une hausse de la température mondiale de 0,16°C sur sept ans, avec un impact particulièrement marqué sur l’Atlantique Nord.
Débat Scientifique
La communauté scientifique reste divisée sur la question. Nicolas Bellouin, professeur en climatologie à l’Université de Reading, souligne que ce phénomène, appelé « climate penalty », était anticipé depuis longtemps. Il rappelle que l’industrie maritime avait tenté d’éviter l’adoption de carburants plus propres en misant sur cet effet refroidissant des aérosols. D’autres scientifiques, comme Edward Gryspeerdt de l’Imperial College de Londres, mettent en garde contre les incertitudes liées à l’ampleur de cet effet refroidissant. Ils estiment que la contribution de la réduction des émissions de soufre à l’augmentation des températures reste une question ouverte, nécessitant des recherches supplémentaires pour confirmer ces résultats.
Conséquences pour l’Industrie Maritime
La réduction des émissions de soufre était principalement motivée par la nécessité d’améliorer la qualité de l’air et de réduire les impacts sur la santé publique. Toutefois, les résultats de cette étude pourraient inciter l’industrie maritime et les régulateurs à reconsidérer l’approche actuelle, en équilibrant les bénéfices pour la qualité de l’air avec les conséquences climatiques potentielles. Jean-Louis Dufresne, climatologue et directeur de recherche au CNRS, souligne la complexité de l’analyse des petites perturbations climatiques sur de courtes périodes. Selon lui, il est crucial de continuer à surveiller les impacts à long terme des politiques de réduction des émissions pour comprendre pleinement leurs effets sur le climat mondial.
L’étude soulève des questions importantes sur l’équilibre entre la réduction des polluants atmosphériques et la gestion du réchauffement climatique. Bien que la réduction des émissions de soufre ait des avantages clairs pour la qualité de l’air, ses impacts potentiels sur le climat nécessitent une évaluation approfondie. Les recherches futures devront se concentrer sur la quantification précise de ces effets et sur la recherche de solutions innovantes pour concilier la lutte contre la pollution atmosphérique et le réchauffement climatique.