Physicien de renom, John Bannister Goodenough a révolutionné les communications et le secteur de l’énergie. On lui doit nos ordinateurs et téléphones portables, et peut-être l’avenir des énergies renouvelables. C’est aussi un philosophe par nature, homme de science autant que de spiritualité. Portrait d’un centenaire qui a transformé son temps.
John B. Goodenough, scientifique reconnu
Né le 25 juillet 1922 à Iéna, en Allemagne, Goodenough a grandi à New Haven, dans le Connecticut. Il est l’une des figures de l’électrochimie, physicien, chimiste et enseignant-chercheur à l’Université du Texas. Détenteur de la Virginia H. Cockrell Centennial Chair in Engineering, il continue ses recherches du haut de son centenaire.
L’antiferromagnétisme, le ferrimagnétisme, la chimie et la physique de l’état solide, la supraconductivité… sont quelques-uns de ses sujets favoris. Mais son travail scientifique rejoint toujours sa plus grande oeuvre : la batterie lithium-ion (Li-ion).
La révolution de la batterie Li-ion
Contrairement à des raccourcis courants, Goodenough n’a pas inventé la batterie lithium. De fait, Stan Whittingham l’avait élaborée des années auparavant, puis commercialisée avec Exxon en 1976. Néanmoins, victime d’explosion en cas de surcharge et de désintégration au fil de son cycle de vie, cette première invention s’est révélée non viable.
C’est alors qu’intervint la « révolution Goodenough ». Pour la comprendre, il faut se pencher – rapidement – sur le fonctionnement d’une batterie. Schématiquement, celle-ci est composée de deux pôles, appelés cathode et anode. Les ions circulent de l’un à l’autre : dans un sens, cela décharge la batterie vers l’appareil que vous y branchez. Dans l’autre, cela la recharge.
La quantité d’énergie que peut contenir une batterie rechargeable dépend des matériaux qui composent ces éléments. Pour faire progresser cette technologie, on étudie donc les propriétés chimiques des matériaux. Une bonne combinaison permettra d’augmenter les capacités d’une batterie tout en réduisant sa taille, son poids et les risques liés.
En 1991, Sony commercialise la première batterie lithium-ion rechargeable comportant une cathode d’oxyde de cobalt. Goodenough est l’inventeur de cette cathode, qui triple la capacité de la batterie, la rend plus stable et compacte. Ainsi, il a permis à Sony de propulser la caméra portative et de repousser les limites de la technologie.
J. B. Goodenough ne compte pas s’arrêter là
Grâce à la portée commerciale et la qualité de son travail, son impact sur le monde est largement reconnu. Membre de multiples commissions d’excellence comme la National Academy of Science, il est également détenteur de plusieurs distinctions.
En 2009, on lui décerne le prestigieux Enrico Fermi Award, suivi par la National Medal of Science in Engineering (2013). La même année, on lui dédie une distinction éponyme, décernée depuis par la Royal Society of Chemistry (Royaume-Uni) pour des travaux de chimie des matériaux. Enfin, en 2019, le Prix Nobel de Chimie parachève l’importance accordée – à juste titre – à son travail.
Pour autant, Goodenough ne s’arrête pas. De fait, il travaille encore sur une « super-batterie », qui serait capable de pallier les défauts des énergies renouvelables en la stockant. En 2014, il déclarait ainsi :
« J’ai peur que nous connaissions guerre sur guerres, nous battant pour les dernières réserves de l’une ou l’autre [source d’énergie], et nous aurons un réchauffement climatique au-delà de ce que nous pouvons supporter. […] Je veux résoudre le problème avant de [devoir abandonner]. J’ai seulement 92 ans. J’ai encore du temps. »
Un philosophe accompli
Comme le décrit lui-même John B. Goodenough, il s’attache à donner du sens à son travail. De fait, derrière le scientifique, on découvre bien vite un homme spirituel, presque philosophe. Son mantra ? « Let’s take it one step at a time. »
Faire les choses petit à petit, étudier les problèmes un par un, Goodenough l’a appris dès le plus jeune âge. Dyslexique, le grand chercheur a d’abord été un élève débordé, et a dû développer des habitudes de travail afin de contourner ses difficultés. Pour cette raison, lorsqu’on lui demande quel animal il aurait été, il répond la tortue.
Donner du sens à sa vie
Pour Goodenough, une vie heureuse est une vie qui a du sens. En ce qui le concerne, l’application ultime de ses recherches serait l’émancipation de la société moderne de sa dépendance envers l’énergie des combustibles fossiles. Plus encore, il est « motivé par la tentative de donner en retour aux personnes qui [l’ont] supporté pour [lui] permettre de travailler. »
Il nous révèle alors sa version du secret de la longévité. Une fois la blague passée (« hériter de bons gènes »), Goodenough partage sa philosophie. Pour une vie sensée et donc longue et heureuse, l’aspect spirituel devrait être cultivé autant que l’aspect intellectuel. Il explique:
« Parfois, il suffit de suivre ce qui vous est dit dans le secret de votre cœur. »
Goodenough, scientifique sur le tard
Par la dernière phrase, John B. Goodenough répond à un de ses anciens professeurs, à l’Université de Chicago. Alors qu’il approchait de la trentaine d’années, après avoir repris ses études après la guerre, il étudiait la physique. Détenteur d’un bachelor de mathématiques, il découvrait la discipline quand son professeur lui a déclaré:
« Ne savez-vous pas que tous ceux qui ont fait quelque chose d’important en physique l’avaient déjà fait quand ils avaient votre âge ? »
Or, s’il était débutant en physique, Goodenough l’était encore plus en chimie. Il a réalisé sa première expérience chimique en 1940, à l’âge de 18 ans, et n’a suivi que deux cours sur le sujet à l’université. Étonnant donc, qu’il ait été accepté à l’Université d’Oxford en tant que professeur de chimie et directeur du laboratoire de chimie inorganique en 1976.
Sous-qualifié pour le poste, il était néanmoins très exigeant dans son laboratoire. D’après une de ses anciennes élèves, c’était aussi le cas lorsqu’il enseignait. Alors qu’un de ses cours comptait 165 étudiants à la première séance, il n’en restait que 8 ensuite !
Maître en philosophie appliquée
Malgré un parcours semé d’embûches, Goodenough a prouvé qu’il savait appliquer sa philosophie du « petit pas. » Dyslexique, sous-qualifié, fils de parents distants au mariage « désastreux », il a pourtant un parcours académique et professionnel remarquable.
Suma cum laude à Yale dans son bachelor de mathématiques, il est météorologue pendant la Seconde Guerre mondiale. Aidé par l’US Air Force grâce à une bourse, il poursuit ensuite des études scientifiques à Chicago. Alors qu’il manquait cruellement de prérequis, il obtient son diplôme et finit chercheur, Prix Nobel à 97 ans.
Chrétien convaincu
Sa détermination, John Bannister Goodenough la tient peut-être de sa foi, qu’il fait cohabiter avec la science. Chrétien, il place ainsi la religion au centre de ses réflexions dans son autobiographie « Witness of Grace », parue en 2008. En philosophe accompli, il y questionne Dieu, le diable, la sainteté, mais aussi la liberté, la vérité…
Il raconte ainsi comment la chapelle de son école et son rôle dans la chorale ont marqué son éducation. Désireux de « lever le voile entre lui et sa compréhension du sacré », Goodenough décide de se faire baptiser à cette époque. Finalement, c’est dans un rêve qu’il raconte sa révélation : « Dieu est amour. »
Ce qui sera pour lui un « éveil intellectuel » participera également à sa carrière extraordinaire. De son propre aveu, sa plus grande inspiration réside dans la « manifestation de l’esprit d’amour, qui me rassure sur le fait que la vie sacrificielle a un sens. » Il conclut ainsi sur le sens qu’il a donné à sa vie:
« Mon appel à une vie de science reste un mystère, pour lequel je suis le plus reconnaissant. »
Goodenough, la vie extraordinaire d’un électrochimiste philosophe
Il est impossible de raconter ici tout une vie, car ce sont des détails qui en font la saveur et la tournure. Ainsi, la première expérience de J.B. Goodenough a été de construire et de faire voler un cerf-volant. À Yale, il était membre de Skull & Bones, la première société secrète de l’école et une des plus prestigieuses des États-Unis. Selon lui, il était tellement distant de sa mère que le lait maternel aurait été un poison.
Dans sa vie professionnelle, d’autres tournants ont été décisifs. C’est la pénurie de pétrole, après le choc pétrolier de 1973, qui l’a intéressé aux batteries. Sans cela, il aurait probablement travaillé plus longtemps au MIT, où il a participé à l’invention de la mémoire RAM. Il a également été victime d’espionnage industriel et de revers lui ayant coûté une somme astronomique de droits non-versés.
Néanmoins, on peut conclure son portrait par quelques traits caractéristiques pour le dépeindre. Déterminé, brillant, exigeant et sévère, John Bannister Goodenough semble également philosophe, spirituel et religieux. Enfin, ses interviews révèlent que son intelligence va de pair avec un sens de l’humour notable.
Tout cela suscite le respect de ses pairs, qui reconnaissent en lui l’un des chercheurs les plus importants de son siècle. Ainsi, en 2012, Charles Murray écrit à son sujet:
« L’impact du travail de Goodenough a été si important qu’il est presque impossible à mesurer. »