La Méditerranée orientale est depuis peu perçue comme eldorado énergétique. En effet, la région est riche en hydrocarbures, et plus particulièrement en gaz. De nombreux champs sont alors découverts depuis 2009, dont Zohr (850 mmc), le plus important découvert en 2015.
De fait, la région devient une région clé. Les États régionaux, comme extérieurs, comptent profiter de ses ressources. Les États de la région entendent miser sur l’exploitation des hydrocarbures pour se développer. Pour les acteurs extérieurs, et notamment l’Europe, ces gisements sont une réelle opportunité pour assurer leur sécurité énergétique.
Cependant, la région est marquée par des tensions géopolitiques. Certaines, comme le conflit israélo-palestinien, sont anciennes. D’autres, comme la question des ZEE, sont exacerbées par la découverte de ces multiples champs.
Néanmoins, on observe un rapprochement en la Turquie et Israël. En effet, après des années de tensions, les deux États se disent prêts à collaborer autour d’un projet de gazoduc. Comme souvent, le gaz s’avère être un élément de réorientation des alliances géopolitiques dans la région. De plus, le contexte géopolitique ouvre la voie à une telle coopération.
EastMed au point mort
EastMed a été lancé en 2018. Il ambitionne de relier les champs gaziers de la Méditerranée vers l’Europe en passant par Chypre et la Grèce. Au total, le gazoduc doit transporter entre 9 milliards et 11 milliards de mètres cubes de gaz par an.
Aujourd’hui, ce projet semble être au point mort. En effet, EastMed a ravivé les tensions entre les États concernés par rapport aux ZEE. Elles sont prévues par la convention de Montego Bay de 1982. Or, la Turquie n’est pas signataire de celle-ci. Ainsi, Ankara ne reconnaît pas les frontières revendiquées par Chypre et la Grèce.
De fait, la Grèce et la Turquie défendent deux visions inconciliables. Pour Athènes, son territoire s’étend jusqu’aux îles les plus à l’est et au sud de la mer Égée, soit à quelques kilomètres des côtes turques. De son côté, Ankara revendique une ZEE qui correspond à son plateau continental.
Ces conflits bloquent donc la mise en œuvre d’EastMed. Suite à la guerre en Ukraine, l’Europe cherche à diminuer sa dépendance au gaz russe. Face aux difficultés liées à EastMed, le projet israélo-turc s’affiche comme une alternative à ce dernier.
Israël et la Turquie veulent une alternative à EastMed
Outre les conflits vis-à-vis des ZEE, il faut souligner le changement de position des États-Unis. En effet, Washington a retiré son soutien à EastMed. De fait, elle considère que le projet n’est pas viable. EastMed coûterait presque $8 milliards pour une capacité d’environ 10 milliards de mètres cubes tandis que Nord Stream 2 a une capacité de 55 milliards de m3/an pour un coût de $10 milliards.
Au vu du contexte, la Turquie et Israël voient une réelle opportunité. En effet, Israël possède d’énormes réserves de gaz. Depuis les années 2000, les découvertes au large de ses côtes s’accumulent. Le niveau des réserves prouvées de gaz naturel est estimé à plus de 1 000 mmc. De plus, il faut y ajouter les futures découvertes.
Les enjeux autour d’une telle coopération sont nombreux. Ankara est encore très dépendante sur le plan énergétique. En effet, la Turquie importe environ 40 % de son gaz. Ce dernier vient principalement de Russie. Avec cette collaboration, Ankara entend d’abord utiliser ce gaz sur son territoire avant de penser à une exportation vers l’Europe. Erdogan déclare :
« Nous pourrions utiliser le gaz naturel d’Israël dans notre pays, et même plus que cela, nous pourrions travailler ensemble pour l’acheminer vers l’Europe. »
Une volonté de rapprochement entre Israël et la Turquie
Les relations entre les deux pays se sont ternies depuis 2008, année de l’opération « Bordure protectrice » lancée par Israël à Gaza. Aujourd’hui, Ankara souhaite se rapprocher d’Israël. En effet, la Turquie est de plus en plus isolée sur la scène internationale. Elle compte alors briser cet isolement diplomatique.
Outre les enjeux géopolitiques, il faut souligner les enjeux économiques. Ce rapprochement économique est favorisé par l’élection d’Isaac Herzog, le 7 juillet 2021. Depuis son arrivée au pouvoir, les échanges commerciaux avec Israël ont augmenté de 35 % en 2021.
Selon Erdogan, la coopération entre les deux pays pourrait être basée sur le modèle de « gagnant-gagnant ». De fait, le 9 mars, Isaac Herzog s’est rendu à Ankara, une première depuis 2008. Cette visite devrait permettre un réchauffement des relations entre les deux pays.
Gazoduc israélo-turc : des obstacles subsistent
En effet, si le rapprochement entre la Turquie et Israël est une réelle avancée en matière de collaboration, des obstacles subsistent. D’abord, il faudrait convaincre Chypre avec qui la Turquie est en conflit du fait des ZEE. Ensuite, la guerre en Syrie rend difficile la construction de ce pipeline.
Aussi, se pose la question de l’Union européenne. En effet, la Turquie et Israël entendent travailler ensemble pour proposer à l’Europe une alternative au gaz russe. Cependant, l’UE entend se tourner vers les énergies renouvelables. Ainsi, elle pourrait chercher d’autres solutions.
De plus, le développement de l’EuroAsia Interconnector peut compromettre ce projet de pipeline. L’EuroAsia Interconnector est un projet d’autoroute électrique d’une longueur de 1 208 km. Ce projet doit alors relier Israël à la Grèce via la Chypre.
Ainsi, ce projet permettra à l’Europe de garantir un approvisionnement électrique. De plus, cette électricité provient des réserves de gaz chypriotes et israéliennes mais aussi d’énergies renouvelables.
Conclusion
En somme, la visite d’Isaac Herzog symbolise le réchauffement des relations entre la Turquie et Israël. Ces derniers, face aux difficultés rencontrées par le projet EastMed, entendent profiter du contexte pour mettre en place un nouveau projet de gazoduc.
Si les discussions semblent être sur la bonne voie, certaines réalités géopolitiques sont à prendre en compte. Ces dernières pourraient freiner, si ce n’est suspendre, ce projet israélo-turc.