L’Inde, pays de 1,4 milliard d’habitants, devrait connaître, ces prochaines décennies, une explosion de sa population urbaine avec des mégapoles déjà surpeuplées et en manque d’infrastructures essentielles, où les conditions de vie risquent de se détériorer encore davantage en raison du changement climatique.
La population de Bombay, l’une des plus grandes villes de l’Inde, a augmenté de 8 millions d’habitants ces trente dernières années, soit l’équivalent de New York.
La mégapole abrite aujourd’hui 20 millions d’habitants et devrait en compter sept millions de plus d’ici 2035.
À l’instar d’autres mégapoles indiennes, le parc de logements, les réseaux routiers et les transports, la gestion de l’approvisionnement en eau et celle des déchets ne se sont pas suffisamment développés pour répondre aux véritables besoins.
Ainsi, 40% environ de la population vit dans des bidonvilles. Surpeuplées, constituées de baraquements de fortune, ces zones de misère sont pour la plupart dépourvues d’eau courante, d’électricité et de sanitaires, dont jouissent les quartiers les plus riches de l’Inde qui, par endroits, les jouxtent.
Les banlieusards passent plusieurs heures dans les transports pour se rendre au travail à Bombay. Accrochés aux portes des trains bondés, à bord de bus pleins à craquer, de voitures ou à moto pour les plus aisés, la circulation est une épreuve de tous les instants sur de mauvaises routes embouteillées.
Une fourmilière
Mohammed Sartaj Khan, originaire d’un village de l’Etat de l’Uttar Pradesh (nord), est arrivé à l’âge de 16 ou 17 ans à Bombay et s’est installé dans le plus grand bidonville, Dharavi, filmé dans “Slumdog Millionaire”, où s’entassent un million d’habitants.
“En arrivant ici, les gens m’ont fait l’effet de fourmis (…) comme dans une fourmilière, personne ne se soucie des autres”, fait-il remarquer.
Il se souvient d’une “enfance merveilleuse passée au village” où “règne une atmosphère paisible, tout le contraire du chaos d’ici”. Et d’ajouter :”la population n’a pas d’argent”.
Agé de 35 ans aujourd’hui, il vit toujours à Dharavi et travaille dans une tannerie.
A ses débuts, il gagnait 6.000 roupies (70 euros) par mois, mais aujourd’hui, devenu technicien, son salaire est quatre fois plus élevé.
Il en destine l’essentiel à sa femme et à ses enfants qui vivent au village, regrettant d’y retourner si rarement, faute de moyens.
Eaux usées non traitées
La population mondiale atteindra huit milliards d’habitants ce mois-ci.
L’ONU prévoit que celle de l’Inde s’élèvera à 1,7 milliard à partir des années 2060, avant de diminuer à 1,5 milliard en 2100.
Le nombre de citadins augmentera de 270 millions d’ici 2040, mais plus de la moitié des Indiens vivront encore en zone rurale, selon l’Agence internationale de l’énergie.
Le développement urbain entraînera une augmentation de la production d’électricité, des matériaux de sidérurgie et de construction, provoquant en conséquence davantage d’émissions de carbone.
Selon un rapport du gouvernement indien datant de 2021, environ 70% des milliards de litres d’eaux usées produites chaque jour dans les villes ne sont pas traités.
Bangalore, qui connaît certains des pires embouteillages de l’Inde, a subi en septembre de graves inondations, imputées au développement d’immeubles du pôle technologique, sans plan d’urbanisme.
De nombreuses villes sont victimes d’inondations, y compris Madras qui a également été frappée de sécheresse à l’été 2019.
Ce genre de crise est imputé à l’insuffisance des pluies et à l’expansion urbaine sur des zones humides de l’écosystème.
“Lorsque la croissance n’est pas planifiée, de nombreuses villes connaissent des inondations”, déclare à l’AFP le professeur Sayeed Unisa de l’Institut international des sciences de la population à Bombay.
Planification urgente
Des millions de citadins indiens ne bénéficient pas de l’eau courante et dépendent de livraisons par camion ou par train.
Partout, y compris à Delhi, la population fore des puits, de plus en plus profonds, à mesure que le niveau des nappes phréatiques baisse.
Selon les scientifiques, il est probable que le réchauffement climatique rende les cyclones plus intenses et plus fréquents, les moussons plus irrégulières et puissantes, et provoque davantage d’épisodes de sécheresse.
Bombay et Calcutta sont particulièrement exposées, et menacées aussi par la montée du niveau de la mer.
Les étés indiens sont de plus en plus torrides, notamment dans les zones urbaines bétonnées qui retiennent la chaleur. Cette année, l’Inde a connu le mois de mars le plus chaud.
La surpopulation urbaine fait davantage courir le risque de voir se propager à grande échelle les virus comme le Covid.
Selon Poonam Muttreja, de la Fondation indienne pour la population, il faudrait que l’Inde investisse dans l’économie rurale pour endiguer l’exode vers les villes et encourage la population à opter pour des centres urbains plus petits.
“Les pauvres, en particulier les migrants, dans les grandes villes, sont les plus vulnérables” aux catastrophes naturelles, rappelle M. Muttreja. “L’Inde doit opérer un changement de paradigme. Et au lieu de se plaindre, nous devons commencer à agir. Il n’est pas encore trop tard pour lancer la planification”.