L’Inde est devenue en 2025 le deuxième client mondial de combustibles fossiles russes avec environ 1,8 million de barils de brut importés chaque jour au premier semestre. Cette progression marque une hausse spectaculaire par rapport aux volumes de 2020 et reflète une réorientation stratégique des flux russes après les restrictions européennes. En octobre, les importations indiennes en provenance de Russie ont représenté 3,1 milliards d’euros, dont 81 % sous forme de pétrole brut.
Pressions américaines et réponse diplomatique
Face à ce réalignement, les États-Unis ont instauré une surtaxe de 25 % sur les importations indiennes de brut russe, ainsi qu’une augmentation équivalente des droits de douane sur les exportations indiennes vers leur territoire. Des sanctions ciblées ont également été appliquées contre Rosneft et Lukoil, deux des principaux fournisseurs de pétrole russe à l’Inde. En réaction, Vladimir Poutine a affirmé à New Delhi que les flux pétroliers vers l’Inde se poursuivraient sans interruption, envoyant un signal direct à Washington.
Le gouvernement indien a réitéré sa volonté de préserver sa sécurité énergétique, en laissant aux entreprises la liberté d’ajuster leurs approvisionnements en fonction des conditions de marché. Cette position permet à New Delhi de maintenir ses intérêts commerciaux tout en évitant une confrontation directe avec ses partenaires occidentaux.
Raffinage, réexportation et encadrement européen
Le pétrole russe importé est souvent transformé dans les raffineries indiennes avant d’être exporté vers l’Union européenne, principalement sous forme de diesel et de kérosène. Cette activité a fait de l’Inde une plateforme de transformation stratégique pour les molécules russes. En réponse, l’Union européenne a introduit une règle de 60 jours : à partir de janvier 2026, les produits raffinés issus de brut russe récemment importé seront exclus de son marché.
Ces nouvelles restrictions obligent les raffineurs indiens à adapter leurs chaînes d’approvisionnement. Plusieurs opérateurs comme MRPL et HPCL ont suspendu leurs achats pour les livraisons de décembre, tandis que d’autres, dont IOC et BPCL, privilégient des vendeurs non sanctionnés. Les flux vers l’Inde devraient chuter à leur niveau le plus bas depuis trois ans.
Flotte fantôme et circuits financiers alternatifs
Une part croissante des cargaisons russes vers l’Inde est transportée par une “flotte fantôme” de navires vieillissants, sans pavillon ni assurance du G7. En octobre 2025, 44 % des exportations russes ont transité par ces canaux. Cette stratégie vise à contourner les restrictions européennes sur les services maritimes, tout en exposant les chaînes logistiques à des risques accrus d’accidents ou de non-conformité réglementaire.
Du côté financier, Moscou développe des alternatives au dollar, avec des règlements en rouble et en roupie soutenus par des institutions comme la banque VTB. Ce mécanisme vise à neutraliser l’effet des sanctions financières extraterritoriales imposées par les États-Unis, tout en facilitant le maintien des échanges pétroliers bilatéraux.
Coopération industrielle et intérêts convergents
Le partenariat énergétique s’inscrit dans un accord économique plus large entre l’Inde et la Russie, qui vise un commerce bilatéral de 100 milliards de dollars à l’horizon 2030. Ce cadre inclut, outre les hydrocarbures, des projets dans les engrais, les infrastructures maritimes et le nucléaire civil. Des investissements comme ceux de Rosneft dans Nayara Energy ou les réacteurs de Kudankulam permettent de transformer une partie des excédents russes en actifs en Inde.
Ces engagements économiques donnent à Moscou une assise durable sur le marché indien, tandis que New Delhi continue à bénéficier de rabais significatifs sur le brut, élément essentiel à la maîtrise de son inflation et de son déficit commercial.