Iberdrola opère une transformation structurelle de son modèle économique en réallouant massivement son capital vers les infrastructures de réseaux régulés. Le groupe espagnol a engagé depuis 2023 une série de cessions d’actifs dans des juridictions jugées périphériques ou politiquement instables, au bénéfice d’investissements dans des marchés notés A où la régulation offre une meilleure visibilité sur les flux de revenus à long terme.
Sortie des marchés non stratégiques : Mexique, France, Europe de l’Est
La cession la plus emblématique concerne le Mexique, où Iberdrola a vendu 13 centrales à gaz à cycle combiné (CCGT) à un véhicule structuré par Mexico Infrastructure Partners, avec un soutien financier direct du fonds souverain mexicain Fonadin. L’opération, finalisée début 2024, représente un montant d’environ $6,2bn et transfère 55 % des actifs mexicains du groupe, principalement sous contrat avec la Comisión Federal de Electricidad (CFE), entreprise publique d’électricité.
En France, Iberdrola a annoncé fin novembre la vente de l’intégralité de sa filiale Iberdrola Renouvelables SAS à Technique Solaire. L’accord porte sur 118 mégawatts en exploitation et un pipeline de 639 mégawatts en développement, majoritairement onshore. Le repreneur, producteur indépendant basé à Poitiers, voit sa capacité installée plus que doubler et sécurise plusieurs années de visibilité industrielle dans un marché très concurrentiel.
En Roumanie, la vente de 80 mégawatts d’actifs éoliens matures à Premier Energy a été finalisée pour 88 M€, tandis qu’en Hongrie, un portefeuille de 158 mégawatts a été transféré au même groupe, via un consortium incluant iG TECH CC, pour 171 M€, avec clôture attendue d’ici début 2026.
Alignement avec le plan stratégique 2025–2028
Ces désengagements ne relèvent pas d’un désengagement défensif mais d’un arbitrage volontaire intégré dans le plan stratégique 2025–2028. Iberdrola y prévoit 58 Md€ d’investissements, dont 65 % dans les réseaux régulés et 85 % dans des pays notés A. Le plan inclut une enveloppe de 13 Md€ de rotations d’actifs, combinant cessions, recyclage de projets et création de coentreprises dans les renouvelables.
Le recentrage permet au groupe de réaffecter le capital libéré vers ses plateformes clés au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Brésil. En parallèle, Iberdrola a relevé sa participation dans la société brésilienne Neoenergia à environ 84 %, renforçant ainsi son contrôle opérationnel sur les infrastructures de transmission dans le pays. D’autres mouvements sont attendus sur les réseaux britanniques, à travers des partenariats structurants ou des levées de capital.
Réduction de la dispersion opérationnelle et des risques juridiques
Les cessions visent aussi à réduire la dispersion géographique du portefeuille et les coûts de conformité associés. En Europe centrale, la complexité croissante des régimes de soutien, les transitions vers le marché libre et la taille réduite des actifs ne justifiaient plus l’allocation de ressources à long terme. En France, le contexte réglementaire reste stable, mais la rentabilité des projets onshore est affectée par une pression concurrentielle élevée et une acceptabilité locale décroissante.
Le retrait du Mexique permet également d’éviter les contentieux potentiels liés aux modifications unilatérales de contrats. En qualifiant l’opération de “nouvelle nationalisation”, le gouvernement mexicain assume une recentralisation du contrôle de la génération électrique, dans un cadre jugé de plus en plus hostile aux producteurs indépendants.
Nouvel équilibre sectoriel et recomposition des acteurs
La reconfiguration du portefeuille d’Iberdrola redistribue des positions clés à des acteurs de taille intermédiaire. Technique Solaire, désormais détenteur de près de 757 mégawatts de projets, accède à une masse critique permettant d’optimiser ses coûts de financement et de négocier des contrats long terme plus compétitifs, notamment des Corporate PPA. En Europe de l’Est, Premier Energy consolide sa position de consolidateur régional, avec un portefeuille diversifié et une exposition accrue aux marchés de gros.
Les multiples implicites ressortent autour de 1,1 M€/MW pour les actifs matures, comme observé en Roumanie et en Hongrie. Pour le portefeuille français, l’absence d’indication chiffrée laisse supposer une valorisation mixte intégrant la valeur future du pipeline, ce qui favoriserait Iberdrola sur le plan de la création de valeur par recyclage.
Focus sur les réseaux et ajustement du profil financier
La transformation du modèle économique vise à réduire la volatilité des cash-flows et à améliorer le profil crédit du groupe. En substituant des actifs générateurs d’EBITDA non régulé par des investissements dans des réseaux à rendement autorisé, Iberdrola améliore sa lisibilité financière auprès des agences de notation. Cette logique est particulièrement marquée au Royaume-Uni, où le cadre RAB (Regulated Asset Base) permet une projection stable des revenus sur des périodes longues.
Ce recentrage réduit aussi les exigences de pilotage sur des marchés fragmentés. En concentrant ses équipes sur un nombre restreint de plateformes — réseaux UK/US/Brazil et offshore — Iberdrola diminue les besoins de ressources en matière de conformité, de cybersécurité et d’ESG, tout en renforçant sa capacité à livrer des projets complexes dans des délais réglementaires stricts.
Implications géopolitiques et signaux aux marchés
Le retrait progressif de certaines juridictions envoie un signal clair aux gouvernements : une politique perçue comme instable ou hostile au privé peut déclencher un désengagement des investisseurs internationaux. À l’inverse, les marchés bénéficiant d’une régulation prévisible attirent des flux croissants, notamment dans les réseaux et l’offshore, où Iberdrola maintient une exposition sélective.
Sur le marché secondaire européen, la libération d’actifs matures crée un espace pour les investisseurs institutionnels à la recherche de rendements stables. Le volume et la fréquence des transactions renforcent la liquidité des portefeuilles renouvelables, en particulier dans l’éolien et le solaire onshore. Des mouvements similaires pourraient suivre chez d’autres utilities comme Engie, RWE ou Enel.