La Commission européenne a placé en priorité deux nouvelles interconnexions électriques entre la France et l’Espagne dans un ensemble de huit corridors désignés comme « Energy Highways », formant le socle d’un projet de réseau paneuropéen. L’objectif est d’élever la capacité d’échange France–Péninsule Ibérique à 8 GW d’ici 2040, contre environ 2,5 GW actuellement, afin d’améliorer l’intégration des énergies renouvelables et de sécuriser l’approvisionnement énergétique.
Un plan d’infrastructure à 1 200 Mds€
L’ensemble du projet, estimé à 1 200 Mds€ ($1 296bn), mobilise les gestionnaires de réseau de transport d’électricité (TSO) tels que RTE (France), Red Eléctrica de España (REE) et Redes Energéticas Nacionais (REN). La coentreprise Inelfe, détenue par RTE et REE, pilote les interconnexions transfrontalières, dont celles passant par les Pyrénées. Le cadre financier s’appuie sur le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe (CEF-E), qui prévoit un budget de 29,9 Mds€ ($32.3bn) sur la période 2028–2034 pour ces projets classés d’intérêt commun (PCI).
Le blackout ibérique comme accélérateur politique
Le coupure d’avril ayant affecté l’ensemble du réseau espagnol et portugais, causant 8 décès et une perte brutale de 15 GW, a été perçue comme un signal d’alarme à Bruxelles. Les enquêtes ont révélé des failles dans la gestion de tension par REE et une déconnexion non anticipée de l’interconnexion franco-espagnole. Cet incident a été utilisé par Madrid et Lisbonne pour faire pression sur la France, accusée d’entraver l’intégration énergétique de la péninsule au marché continental.
Réduction des prix et arbitrage transfrontalier
La Commission européenne entend utiliser ces infrastructures pour atténuer l’écart de prix de l’électricité entre l’Europe et ses concurrents mondiaux. L’objectif est de faciliter l’exportation des surplus de production renouvelable ibérique, qui ne trouvent pas preneur localement, en particulier lors des pics solaires. Les interconnexions doivent permettre de valoriser jusqu’à 310 TWh de production d’ici 2040, actuellement menacés de curtailment.
Hydrogène, cybersécurité et contrôle stratégique
Deux des huit corridors concernent le transport d’hydrogène bas-carbone, plaçant la péninsule ibérique au cœur d’un axe d’exportation vers l’Allemagne via la France. En parallèle, la nouvelle réglementation européenne impose des exigences renforcées en matière de cybersécurité et de contrôle des investisseurs pour protéger les infrastructures stratégiques, avec des restrictions prévues pour les entités étrangères considérées à risque élevé.
Conséquences pour les opérateurs de réseau
REE, affaiblie par les conclusions techniques du blackout, bénéficie toutefois d’un partage des responsabilités avec Bruxelles dans le cadre des projets PCI. RTE, quant à elle, fait face à un dilemme : tenir ses engagements européens de renforcement des interconnexions tout en composant avec les résistances politiques locales, notamment dans les Pyrénées. La pression pour respecter les délais fixés par la Commission pourrait transformer les interconnexions en obligations politiques, suivies par un reporting régulier au niveau du Conseil européen.
Industrie, flexibilité et sécurité d’approvisionnement
Pour les producteurs d’électricité renouvelable, l’augmentation de la capacité d’export représente une opportunité de sécuriser de nouveaux modèles économiques orientés vers l’export intra-européen. Du côté français, ces interconnexions offrent une solution de flexibilité pour équilibrer les pointes de production nucléaire ou hydraulique, tout en renforçant la sécurité d’approvisionnement du sud-ouest de l’Europe.