Avec le projet de gazoduc Force de Sibérie 2, Moscou espère réduire sa dépendance vis-à-vis de ses acheteurs européens, mais risque d’aggraver le déséquilibre de ses relations commerciales avec Pékin, qui s’est accentué depuis l‘invasion de l’Ukraine, selon des analystes. Le projet a été célébré par Vladimir Poutine lors de la visite de son homologue chinois, Xi Jinping, à Moscou. Le titanesque projet Force de Sibérie 2 offrirait un débouché commercial vital pour le gaz russe, frappé de sanctions par les Occidentaux en représailles à l’invasion de l’Ukraine. Le gazoduc de 2 600 kilomètres, reliant la Sibérie au Xinjiang chinois, devrait transiter 50 milliards de m3 de gaz, à terme. Mais l’enthousiasme est plus mesuré côté chinois, Pékin évitant tout engagement formel sur ce projet, dont le calendrier reste encore très flou.
Selon des experts, l’attentisme chinois est révélateur à la fois de la position de force de Pékin face à Moscou, mais aussi de son souhait de ne pas dépendre à l’excès de la Russie pour son approvisionnement énergétique. La Chine n’est pas pressée de signer quoi que ce soit à moins que la proposition ne lui soit favorable et soit modelée à partir des conditions qu’elle a fixées, estime Maria Shagina, experte à l’Institut international d’études stratégiques (IISS) de Berlin.
La Russie, autrefois premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (LNG), a vu ses exportations de gaz s’effondrer en 2022 sous le coup des sanctions occidentales. L’Union européenne cherchant de nouvelles sources d’approvisionnement en gaz, la Russie s’est tournée vers d’autres acheteurs, notamment la Chine, à laquelle elle est déjà reliée via le gazoduc Force de Sibérie 1. Un volume record de 15,5 milliards de m3 a d’ailleurs transité par ce pipeline l’an dernier. En 2022, la Chine a ainsi détrôné l’Allemagne pour devenir le premier acheteur de produits énergétiques russes. Et en 2023, Pékin a déjà versé 12,2 milliards de dollars à Moscou pour son charbon, son gaz ou son pétrole, selon le Centre de recherche sur l’énergie et l’air propre, basé à Helsinki.
Mais les ventes énergétiques russes vers l’Asie restent toutefois modestes par rapport aux 155 millions de m3 que Moscou exportait vers l’Europe avant la guerre en Ukraine. La Russie essaie désespérément d’envoyer autant de gaz que possible vers l’Est au moment où l’Europe s’efforce de réduire sa dépendance au gaz russe. Cependant, les obstacles ne sont pas minces. Le réseau existant de pipelines en Russie a été principalement structuré pour répondre au marché européen, et selon Jaime Concha, experte du marché du gaz dans le cabinet Energy Intelligence, la construction d’un réseau équivalent pour l’Asie serait long et coûteux. Cette situation souligne « le peu d’alternatives dont dispose la Russie ».
La Chine, quant à elle, a entrepris de diversifier ses sources d’approvisionnement en gaz et a signé plusieurs accords gaziers avec des pays du monde entier. En novembre, la Chine a conclu un accord avec le Qatar d’une durée de 27 ans et d’un montant de 60 milliards de dollars. Selon Yan Qin, spécialiste du charbon chez Refinitiv, « les dirigeants chinois tirent également des leçons de l’Europe sur sa dépendance excessive vis-à-vis des importations énergétiques russes ».
La guerre en Ukraine a renforcé la position de la Chine dans les négociations énergétiques avec la Russie. Selon Maria Shagina de l’IISS, Pékin est « sorti grand vainqueur » de cette situation en profitant de l’isolement de Moscou pour accélérer ses achats de gaz, de pétrole et de charbon russes à des « prix cassés ». La Chine se positionne ainsi comme un acteur clé sur le marché énergétique mondial. Cependant, pour la Russie, la dépendance vis-à-vis du marché européen peut devenir un handicap à long terme, en particulier si les relations avec l’Europe se détériorent davantage. La recherche de nouveaux débouchés en Asie reste donc un enjeu majeur pour la Russie.