La justice japonaise a pour la première fois conclu à la culpabilité de quatre anciens dirigeants de Tepco pour la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, les condamnant à des dommages-intérêts records de près de 100 milliards d’euros. Les actionnaires de Tepco, l’opérateur de la centrale de Fukushima Daiichi, ont lancé cette procédure judiciaire en 2021.
À leur sortie du tribunal, des plaignants ont brandi des banderoles où l’on pouvait lire: “Responsabilité reconnue” et “Les actionnaires ont gagné”.
Les dommages-intérêts ordonnés par la cour totalisent plus de 13.300 milliards de yens, soit près de 97 milliards d’euros, un record pour un procès civil au Japon, selon les avocats des plaignants. “Nous sommes conscients que (cette somme, NDLR) est bien au-delà de leurs capacités à payer” a convenu lors d’une conférence de presse Hiroyuki Kawai, un avocat des actionnaires, s’attendant à ce que les anciens dirigeants de Tepco payent ce que leurs moyens personnels leur permettront.
Ainsi, ils paieront ce montant astronomique à Tepco. Cela couvrira les coûts de démantèlement de la centrale, de décontamination des sols, de stockage des déchets et débris radioactifs, ainsi qu’aux indemnités devant être versées aux habitants affectés par l’accident nucléaire.
Les actionnaires ne cherchaient pas réparation pour eux-mêmes directement mais pour Tepco, dont ils détiennent une partie du capital.
Absence de mesures préventives
Le juge a estimé que “le sens de la sûreté et de la responsabilité requis pour un opérateur d’une activité nucléaire faisait fondamentalement défaut”, selon la chaîne de télévision publique japonaise NHK. Selon les actionnaires, il était possible d’éviter le désastre. Les dirigeants de Tepco auraient dû prendre en compte des rapports préconisant des mesures préventives contre un raz-de-marée. Parmi ces mesures, on retrouve la construction de digues et l’installation de systèmes d’électricité de secours dans les hauteurs.
Trois des six réacteurs de la centrale – les unités 1, 2 et 3 – étaient en service lorsque le tsunami, consécutif à un puissant séisme sous-marin, a déferlé. Leurs systèmes de refroidissement sont tombés en panne quand des vagues ont inondé les générateurs de secours, provoquant la fusion des cœurs des trois réacteurs.
Des explosions d’hydrogène s’étaient également produites dans les réacteurs 1, 3 et 4, faisant de gros dégâts. Les travaux de décontamination et de démantèlement de la centrale devraient encore durer plusieurs décennies.
Acquittés au pénal en 2019
“Nous exprimons encore une fois nos excuses les plus sincères pour les gens de Fukushima et la société en général” pour les dégâts et les inquiétudes provoqués par cette catastrophe, a déclaré mercredi à l’AFP un porte-parole de Tepco, refusant toutefois de commenter la décision de justice.
Depuis l’accident, Tepco fait face à de nombreuses procédures judiciaires. Celles-ci émanent notamment de la part d’habitants forcés d’évacuer la zone à cause des radiations, dans des conditions parfois très éprouvantes.
En 2019, la justice a acquitté en première instance trois anciens dirigeants de l’opérateur. Les parties civiles ont fait appel. Ces ex-patrons innocentés à l’époque – l’ancien président du conseil d’administration de Tepco Tsunehisa Katsumata et les anciens vice-présidents Sakae Muto et Ichiro Takekuro – figurent parmi les quatre condamnés au civil mercredi, au côté d’un autre ancien dirigeant de la société, Masataka Shimizu.
Si le tremblement de terre et surtout le tsunami du 11 mars 2011 ont causé la mort de 18.500 personnes dans le nord-est du Japon, la catastrophe nucléaire de Fukushima en elle-même n’a fait aucune victime sur le coup. Cependant, elle est indirectement responsable de plusieurs milliers de “décès liés”, reconnus par les autorités japonaises comme des morts dues à la dégradation des conditions de vie des nombreuses personnes évacuées de la région.
L’État japonais et Tepco ont déjà été condamnés au civil à diverses reprises, à la suite de nombreuses plaintes d’évacués en nom collectif. Leurs amendes sont cependant restées symboliques.
Six jeunes plaignants ont par ailleurs lancé fin janvier une action collective en justice au Japon pour tenter de faire reconnaître le lien existant, selon eux, entre leurs cancers de la thyroïde et leur exposition aux radiations de la centrale de Fukushima, près de laquelle ces personnes vivaient au moment de la catastrophe.