Le bassin de Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, était au cœur d’un ambitieux projet de stockage de dioxyde de carbone (CO2), nommé Pycasso. Porté par des acteurs industriels de premier plan comme Teréga, Lafarge, ArcelorMittal et Repsol, ce projet visait à enfouir cinq millions de tonnes de CO2 par an dans le sous-sol du piémont pyrénéen, une initiative destinée à décarboner les industries du sud-ouest de la France et du nord de l’Espagne d’ici 2030. Cependant, en raison de l’opposition croissante des élus locaux, des associations et de certains industriels, le projet a été officiellement abandonné.
Selon Dominique Mockly, PDG de Teréga, l’abandon est motivé par des obstacles de coactivité avec les infrastructures industrielles déjà implantées dans la région. Lors d’une récente interview au journal Sud Ouest, il a précisé que l’absence de dialogue entre les parties prenantes a été un frein majeur à la progression du projet. « Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de solution, mais pour qu’il y ait des solutions, il faut qu’il y ait dialogue et il n’y a pas de dialogue. Donc nous avons décidé d’abandonner le site de Lacq », a-t-il déclaré.
Des Enjeux de Sécurité et d’Efficacité
Les critiques formulées par les opposants au projet Pycasso soulignent des inquiétudes liées aux risques technologiques et naturels potentiellement induits par le stockage de CO2 en profondeur. Les associations environnementales, ainsi que des acteurs industriels locaux, mettent en avant la vulnérabilité de cette technologie, dont l’efficacité à long terme reste encore controversée. Pour eux, le projet pourrait menacer la stabilité des activités locales, affectant notamment les 7 500 emplois directs existant dans le bassin industriel de Lacq.
Les détracteurs ont qualifié Pycasso de « folie », considérant que le projet impose une pression indue sur l’économie locale tout en exposant potentiellement la population à des risques encore mal maîtrisés. Selon eux, ces risques pèsent lourdement dans la balance face aux avantages escomptés en matière de décarbonation. Le captage et le stockage de carbone (CSC) représentent une technologie prometteuse pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais elle est encore perçue par certains comme un moyen temporaire de limiter les impacts environnementaux sans résoudre la source des émissions.
Un Défi pour la Stratégie Française de Décarbonation
Le ministère de l’Industrie, dans un rapport publié en juillet dernier, a réitéré l’importance du déploiement des technologies de CSC dans la stratégie nationale pour contenir les émissions de CO2. Selon ce rapport, la France vise à capturer entre 4 et 8 millions de tonnes de CO2 d’ici 2030, et à atteindre un objectif de 30 à 50 millions de tonnes d’ici 2050. Toutefois, le cas de Pycasso met en lumière les difficultés rencontrées pour implémenter ce type de projet dans des zones industrielles densément occupées, où la cohabitation entre nouvelles infrastructures de décarbonation et industries préexistantes semble délicate.
Le consortium en charge du projet Pycasso, malgré cet échec, a déjà identifié dix autres sites potentiellement « intéressants » en région Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine pour poursuivre ses objectifs de stockage de CO2. Selon Dominique Mockly, le défi reste avant tout de parvenir à un consensus avec les acteurs locaux pour permettre une transition énergétique sans heurter les intérêts industriels régionaux.
Des Alternatives pour une Transition Durable
L’arrêt du projet Pycasso dans le bassin de Lacq ouvre un débat plus large sur la manière dont la France peut atteindre ses objectifs de réduction d’émissions sans créer de frictions au sein des bassins industriels. D’un côté, les experts soutiennent que le stockage de carbone est crucial pour lutter contre le réchauffement climatique ; de l’autre, les critiques pointent le risque de voir cette technologie utilisée comme un prétexte pour retarder les transformations structurelles nécessaires dans les processus de production industriels.
L’opposition qui a eu raison de Pycasso démontre l’importance de la concertation avec les parties prenantes locales pour une transition réussie. Alors que la demande en technologies de décarbonation s’accroît, la France devra trouver un équilibre entre innovation et acceptabilité locale afin de garantir l’efficacité et la sécurité de ses initiatives environnementales.