“A-t-on besoin d’un nouveau programme de réacteurs nucléaires ?”: quelque 240 personnes ont planché à Paris sur ce thème lors d’une réunion organisée par la très officielle Commission nationale du débat public (CNDP), un débat qui les a toutefois laissées bien souvent sur leur faim.
“Le débat public sur le nucléaire est biaisé depuis le début. C’est juste une formalité de l’Etat, il n’aura aucun impact”, déplore Tom Dury, 28 ans, avant même que la discussion ne s’engage dans les locaux de la Maison des associations de solidarité du 13e arrondissement.
Ce jeune chômeur et d’autres militants, vêtus de combinaisons blanches pour symboliser leur opposition au nucléaire, ont fait le voyage depuis la Meuse pour dénoncer le projet d’enfouissement de déchets hautement radioactifs à Bure, une commune de ce département rural.
Dans leurs mains, des couronnes funéraires floquées “Tchernobyl 1986”, “Fukushima 2011” ou encore “Penly 2035”.
EDF prévoit de construire trois paires de réacteurs nucléaires de nouvelle génération EPR2, dont la première doit être mise en service précisément sur le site de Penly en 2035.
Annonçant ce vaste projet de relance du nucléaire à Belfort en février, Emmanuel Macron avait précisé que huit réacteurs supplémentaires étaient à l’étude.
Dix réunions publiques seront organisées d’ici au 27 février à travers la France par la CNDP, une autorité indépendante qui doit en faire la synthèse pour “éclairer” les parlementaires. La première s’était tenue le 27 octobre à Dieppe, non loin du site de Penly.
A quelques mètres des militants de Bure, des membres du collectif “Piscine Nucléaire Stop” protestent de leur côté contre un nouveau projet de stockages de combustibles nucléaires usés qui doit être érigé près de l’usine de retraitement des déchets de La Hague (Manche).
“Alors comment va-t-on débattre ? Écouter sagement les représentants complices d’EDF et RTE (le gestionnaire du réseau à haute tension français, NDLR) nous présenter dans une délicate langue de bois leurs grands projets, discuter de petits détails qu’ils auraient omis de peaufiner?”, tonne Théo Le Bruman derrière son mégaphone.
Peu de citoyens
Dans la salle, l’ambiance est studieuse et très masculine, chaque participant se voyant affecté sans ordre particulier à l’une des 24 tables.
Parmi eux, une poignée d’élus locaux et de citoyens curieux mais surtout des antinucléaires et des pro nucléaires. 600 autres se sont connectées à distance.
A la table numéro 15, sept hommes et une femme écoutent le discours liminaire de Michel Badré, président du débat public, sur le cadre de cette consultation. Puis le chronomètre est lancé : quarante minutes pour se positionner à tour de rôle sur la question du jour.
Mais quand le débat s’engage, il tourne rapidement court à la table 15. Les sept hommes et une femme qui ont pris place autour sont tous largement favorables à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. “Nous sommes la table du consensus”, grince même l’un d’eux.
Ingénieur dans le nucléaire, Martin Boissavit, 34 ans, se dit “un peu déçu” par ce débat express qui n’en a finalement pas été un, se cantonnant selon lui à des questions “très techniques” qui ont tué dans l’oeuf le “vrai débat sociétal”.
Comme les autres débatteurs d’un soir, il aura finalement passé plus de temps à écouter les interventions des représentants d’EDF et d’autres organismes sur les différents scénarios énergétiques qu’à échanger.
Un débat pour rien ? “De toute façon, le consensus en faveur du parc nucléaire est globalement déjà passé au Parlement”, souffle-t-il.
Le prochain débat public aura lieu le 22 novembre à Saclay (Essonne), haut lieu de la recherche nucléaire sur un thème non moins technique : “Qu’est-ce-que l’EPR2, et peut-on faire du nucléaire autrement ?”.