Le financement du nucléaire en France. Mais qui va payer ? La question se pose à l’heure où le Président de la République souhaite manifestement faire du nucléaire la clé de sa stratégie énergétique et climatique.
Retour sur les moyens de financement à la disposition des acteurs du marché.
Le financement du nucléaire s’affranchit des moyens conventionnels
La construction d’une centrale nucléaire n’a rien de conventionnel. Il s’agit même d’un cas d’école des manuels de gestion de projets. Chaque centrale représente des années, voir des décennies de développements complexes et extrêmement risqués. Le moindre soubresaut politique, technique ou normatif, peut repousser, voire annuler, le déploiement de dizaines d’années d’efforts et d’investissements.
Le financement du nucléaire de manière conventionnel, c’est-à-dire par la dette et des capitaux privées, est donc proscrit. Les risques sont trop grands. Malgré tout, les rendements économiques et énergétiques de l’atome restent extrêmement attractifs. Les acteurs privés et publics font donc preuve d’innovation quand il s’agit de financer de tels projets.
L’opinion publique marginalise le financement public
Historiquement, le développement des centrales nucléaires est un domaine réservé des États. La construction, l’exploitation et le marché même de l’électricité ont longtemps été des monopoles publics. Dès lors, le financement des parcs nucléaire était relativement simple.
L’État apportait des fonds à des entreprises publiques qui se remboursaient progressivement avec les tarifs réglementés de l’électricité. Autrement formulé, l’autorité publique apportait les investissements initiaux avec la contribution des consommateurs sur leurs factures d’électricité.
Ce système avait l’avantage de limiter le degré d’incertitude avec une planification et des garanties de l’État. Cependant, la libéralisation du marché de l’électricité et la défiance de l’opinion ont progressivement marginalisé le recours aux investissements publics.
Le financement privée suppose une rentabilité
Avec la déréglementation des marchés et la défiance vis-à-vis de l’énergie atomique, les modalités de financement ont évolué. Progressivement sont apparus des financements privés par levées de fonds propres sur les marchés financiers. Ainsi, les risques reposent désormais sur les entreprises et les actionnaires, avec des garanties limitées par les États.
Ce fut notamment le cas en Finlande, avec le projet OL3 d’Areva (Orano) à Olkiluoto en 2003. Le plan reposait sur un financement par les actionnaires de l’entreprise Finlandaise TVO. La promesse de rendement avec une fixation contractuelle des coûts a suffi à rassurer les investisseurs.
Ce type de financement est malgré tout plus risqué. La rentabilité du projet dépend dorénavant des cours anticipés de l’énergie et de la livraison des installations dans les délais prescrits. Un risque qu’EDF a cherché à limiter en encadrant les prix de l’énergie directement auprès de conglomérats de consommateurs. Un moyen détourné dans un marché libéralisé pour réguler le prix de l’énergie et garantir un revenu à terme.
Or, le marché de l’énergie est un marché volatil
Cependant, ce mode de financement à rapidement atteint ses limites. Dans cet environnement dérégulé, encadré par des contrats à long terme, beaucoup ont fini par perdre pied.
Ce fut le cas pour EDF, après la chute des prix au début des années 2010. La baisse des cours de l’énergie ont forcé l’opérateur à revoir ses tarifs négociés à la baisse. Si bien que l’entreprise a perdu en visibilité sur ses projets en cours et a accentué son endettement.
Autre exemple en Finlande où l’OL3 a connu plus de 10 ans de retard avec 450 millions d’euros de pénalité pour Areva. De même en Angleterre, le projet Hinkley Point C à fait craindre des pertes records pour EDF en 2016.
Mais aujourd’hui, la pression pour relancer la filière avec le réchauffement climatique pousse à l’innovation financière. Car malgré une exploitation qui reste rentable, l’incertitude sur les couts de construction repousse les investisseurs.
Changement de paradigme : partage du fardeau
Aujourd’hui, la priorité donnée par plusieurs États à l’énergie nucléaire les contraints à garantir les revenus des opérateurs à terme. Au Royaume-Uni, le gouvernement souhaite retourner partiellement à un mécanisme de financement par les consommateurs pour absorber l’incertitude. Ce faisant, les investisseurs privés limitent leurs prises de risques.
Aux Émirats Arabes Unis, la centrale nucléaire de Barakah s’est vue financée par un montage à 24,4 milliards de dollars, dont 16,2 milliards ont reposés sur des fonds publics.
Aux États-Unis, l’administration Biden s’est engagée à financer la réhabilitation du parc existant et la construction de nouvelles centrales. Parallèlement, l’État fédéral subventionne le développement des centrales SMR. Il promet ainsi des financements plus abordables pour les acteurs privés.
Ces exemples, divers dans leur mécanisme, montrent une contribution renforcée des États dans une logique de partage du fardeau. L’idée poursuivie est de partager les risques via des interventions étatiques, tout en conservant des participations du secteur privé.
Mais qui va financer les EPR Français?
Selon le cabinet Roland Berger, en 2019, six nouveaux EPR d’ici à 2044 coûterait 47,2 milliards d’euros. Un chiffre contestable au regard des derniers projets nucléaires Français de Flamanville, Hinkley Point et Olkiluoto. Tous sont sujets à des reports considérables et des extensions budgétaires de plusieurs milliards d’euros. En conséquence, les déclarations du Président lèvent les questions sur le mode de financement.
La Cour des comptes a alerté sur l’incertitude qui pesait sur les capacités de l’État à assumer cette charge. De même, EDF est déjà fortement endettée. Ce qui met en doute sa capacité à porter le projet, même si elle se dit prête à relancer la filière.
Selon des sources qui restent à confirmer, l’État se déclarerait prêt à assumer une grande partie du financement. Ce qui pose encore une fois d’autres questions sur la participation des contribuables. Mais pour l’heure, le cadre contractuel reste indéfini, le gouvernement ne s’étant pas encore prononcé.