ExxonMobil a suspendu le développement de son projet d’hydrogène bleu à Baytown, au Texas, en raison de l’absence d’engagements contractuels suffisants de la part des acheteurs. Prévu pour produire 1 milliard de pieds cubes par jour, le projet représentait l’une des initiatives les plus ambitieuses de la major pétrolière en matière de captage et stockage du carbone. Sa mise en pause traduit un arbitrage stratégique au sein du groupe au profit des hydrocarbures conventionnels et du gaz naturel liquéfié.
Un projet structuré autour de partenaires internationaux
Baytown s’inscrivait dans le portefeuille de la division Low Carbon Solutions d’ExxonMobil, avec un usage interne prévu pour les opérations de raffinage et de pétrochimie dans la région de Houston, ainsi qu’un potentiel d’exportation d’ammoniac. Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) détenait une participation projetée de 35 %, marquant son engagement le plus important dans l’hydrogène bas carbone hors Émirats arabes unis. Le projet comptait aussi sur l’expertise d’ingénierie du groupe australien Worley, titulaire du contrat EPC conditionné à la décision finale d’investissement.
Des protocoles d’accord avaient été signés avec Air Liquide pour structurer une demande régionale sur la côte du Golfe et avec le japonais JERA, intéressé tant par des volumes que par une entrée au capital. Ces alliances n’ont toutefois pas permis de sécuriser des contrats long terme suffisants pour garantir la rentabilité du projet sans subventions publiques.
Coûts d’investissement élevés et incertitude réglementaire
Le développement du site impliquait des investissements de plusieurs milliards de dollars, dont 500 millions déjà engagés. La technologie prévoyait la capture de plus de 98 % des émissions de dioxyde de carbone, nécessitant des installations complexes de compression, transport et stockage. Le différentiel de coût entre l’hydrogène bleu capturé et les formes classiques (hydrogène gris ou gaz naturel) demeure trop élevé pour que les clients industriels s’engagent sans soutien public clair.
Les réductions récentes des crédits d’impôts prévues par l’Inflation Reduction Act ont fortement dégradé l’économie du projet. Le démantèlement partiel de ce cadre fiscal par l’administration Trump, notamment via la loi dite « One Big Beautiful Bill », a retiré des aides majeures aux hubs hydrogène et projets de captage de carbone.
Repli stratégique d’ExxonMobil et repositionnement d’ADNOC
La décision de gel renforce les flux de trésorerie d’ExxonMobil à court terme, mais affaiblit la crédibilité de sa stratégie bas carbone auprès des investisseurs institutionnels. Le projet devait être un démonstrateur clé de la capacité du groupe à développer des solutions compatibles avec une trajectoire de neutralité carbone.
ADNOC, de son côté, perd une plateforme d’exportation bas carbone vers l’Europe et l’Asie en sol américain. Le groupe pourrait réorienter ses priorités vers des projets domestiques ou vers des juridictions où les mécanismes de soutien public sont plus stables, comme les Émirats arabes unis ou l’Arabie saoudite.
Conséquences pour la chaîne d’approvisionnement et les standards internationaux
Le report du projet affecte directement les entreprises d’ingénierie et de technologie impliquées, dont Worley, ainsi que les fournisseurs d’équipements spécialisés dans le captage de CO₂. Ce ralentissement crée un manque de visibilité pour justifier les investissements industriels nécessaires à la montée en puissance de la filière.
La suspension de Baytown remet également en question la capacité des États-Unis à jouer un rôle moteur dans la standardisation du marché mondial de l’hydrogène bas carbone. Les exigences réglementaires floues autour du concept de « clean hydrogen », combinées à une incertitude fiscale, incitent les acheteurs potentiels à se tourner vers d’autres régions, malgré une demande européenne et asiatique en forte croissance.