En Europe, les acteurs privés de l’hydrogène pressent les gouvernants à accélérer la mise en place d’une législation transitoire favorisant les investissements et le développement de projets. Pour l’heure, les barrières sont trop grandes pour espérer atteindre les objectifs fixés par les instances européennes.
En Europe, l’incertitude freine les investisseurs
Lors de la S&P Global Platts EMEA Hydrogen Markets conference, les acteurs du secteur de l’hydrogène ont alerté sur le manque de financement. Selon les participants, l’adaptation des politiques européennes aux réalités du marché pour inciter les investissements privés n’est pas suffisante.
Les banques, toutes particulièrement, dénoncent le manque de subventions pour compenser les risques propres à un marché en devenir.
« Il faut beaucoup d’argent, et pour être honnête, je ne le vois pas ». Hyung-Ja de Zeeuw, directeur exécutif et stratège principal de Rabobank pour le développement durable.
Redéfinir les stratégies nationales
Pour Lisa McDermott, directrice exécutive d’ABN Amro Bank, les stratégies nationales en Europe ne sont pas à la hauteur du challenge. Elle reproche ainsi aux gouvernements des politiques sans vision d’ensemble, priorisant des secteurs à faible potentiel et délaissant les industries critiques.
Pour elle, ce manque de cohérence financière freine les investisseurs et renforce l’incertitude des marchés. De fait, de nombreuses initiatives en Europe sont actuellement retardées faute d’aides publics malgré leur potentiel reconnu. C’est notamment le cas d’entreprises comme Equinor et BP qui conditionnent leurs projets de développement d’hydrogène à une participation publique.
Toujours selon McDermott, l’Europe doit donc clarifier ses positions sur les secteurs prioritaires à fort potentiel pour limiter les pertes d’investissements. Sont particulièrement ciblés l’aciérie et la pétrochimie où seul l’hydrogène est en mesure de remplacer les hydrocarbures.
Assurer le couplage EnR – hydrogène
L’autre problématique majeure en Europe vient de la réglementation européenne sur l’appellation d’hydrogène renouvelable. Selon le législateur, n’est reconnu comme hydrogène vert que la production par électrolyse issue des énergies renouvelables (EnR). Si cette définition soulève un certain consensus, elle pose néanmoins de sérieux problèmes opérationnels à court terme.
En effet, la croissance des EnR n’est pas corrélée à celle des moyens d’électrolyse pour produire de l’hydrogène. Concrètement, la demande électrique pour produire de l’hydrogène sera, à court terme, supérieure aux capacités attendues des EnR en Europe.
En conséquence, la mise en place d’une chaine de valeurs devra inévitablement temporairement passer par une source non renouvelable d’énergie.
Si les producteurs sont optimistes sur un hydrogène 100% vert à long terme, une phase de transition est jugée nécessaire. Car telle qu’elle, une part significative des projets d’hydrogène ne pourra pas être légalement reconnue comme renouvelable. Le risque étant d’ajouter encore plus de barrières à l’investissement.
« Nous pensons que le contexte actuel justifie une période de transition […] À plus long terme, ce ne sera pas un problème, mais dans un premier temps, nous devrions assouplir certaines conditions ». Ana Quelhas, directrice générale de l’hydrogène à la compagnie d’électricité portugaise EDPR.
Un marché en voie d’adaptation
Malgré les alertes lancées par les acteurs financiers du secteur hydrogène, l’édification de ce marché prometteur est en marche rapide.
Du côté des acteurs publics, des plans d’adaptation sont à l’étude. La Commission européenne s’est engagée en juillet 2020 à adapter la législation en Europe pour répondre aux attentes. Elle a également créé l’Alliance européenne pour un hydrogène propre pour développer un écosystème d’entreprises.
Un plan regroupe déjà près de 500 entreprises pour développer et adapter une chaine de valeur complète de l’hydrogène renouvelable en Europe. Les objectifs chiffrés annoncés sont une production d’hydrogène décarboné multipliée par 40 sur dix ans. Soit 14% d’hydrogène renouvelable dans le mix énergétique d’ici à 2050.
23 entreprises s’engagent dans « The Hydrogen Project »
Du côté privé, des projets de grande ampleur pour fortifier le marché de l’hydrogène en Europe sont à l’œuvre. Au premier rang, « The Hydrogen Project » (THP), mené par un conglomérat d’une vingtaine d’entreprises (Snam, Enagas, Open Grid Europe, GRTGaz, etc…) doté de 81 milliards d’euros.
THPP est un projet colossal visant à créer un réseau de l’hydrogène entre l’Afrique et l’Europe. Une entreprise qui nécessite des investissements considérables et des adaptations légales déjà à l’étude. Le projet promet, à terme, une offre énergétique abordable, disponible et durable. La question reste de savoir comment et quand les acteurs publics vont s’engager pour aider ce projet en quête de soutien.
Des résultats probants dès 2030?
Selon Ana Quelhas, directrice générale d’EDPR, ces coûts de structure sont indispensables pour rendre l’hydrogène vert compétitif. En attendant, les gouvernements doivent faciliter et orienter les investissements vers les secteurs d’avenir pour l’hydrogène vert.
« C’est au niveau des dépenses d’équipement que nous prévoyons la plus grande réduction […] ce qui contribuera à faire baisser le coût global de l’hydrogène de 30 à 40 % […] D’ici 2030, voire avant, nous prévoyons une parité de coût avec l’hydrogène gris »
Selon Quelhas une politique optimisée vers les infrastructures et l’innovation devrait donc être payante dès 2030.