L’essor des énergies renouvelables (EnR) conduira-t-il à des blackouts sur les réseaux électriques ? La question mérite de se poser après l’avertissement lancé le 5 novembre dernier par l’opérateur national britannique ESO. Dans un communiqué, ce dernier s’est inquiété d’un risque de pénurie temporaire d’électricité au Royaume-Uni pendant l’hiver. L’opérateur britannique s’attend ainsi à une forte baisse de la production des fermes éoliennes durant les heures de pointe.
Cette nouvelle pose le problème de la capacité des réseaux électriques à pouvoir intégrer une part élevée d’énergies renouvelables. L’exemple britannique apparaît dès lors comme symptomatique des difficultés des opérateurs d’électricité à gérer des énergies à production intermittente. Cependant, l’avertissement d’ESO peut également servir de coup de semonce afin de favoriser la flexibilisation des systèmes électriques. Des solutions comme le stockage d’énergie ou la digitalisation des usages pourront ainsi faire l’objet d’un intérêt croissant.
L’essor des énergies renouvelables et le risque de blackout
Pendant longtemps, les systèmes électriques s’équilibraient par l’usage de puissants générateurs capables de répondre aux variations de la demande. Aujourd’hui, l’intégration progressive des ENR transforme les systèmes en créant des déséquilibres sur les marchés de l’électricité. Or, de ces déséquilibres peuvent surgir des risques de blackout.
L’intégration croissante et problématique des ENR intermittentes
Depuis plusieurs années, les ENR s’imposent comme la solution privilégiée pour lutter contre le réchauffement climatique. D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), elles devraient représenter 25 % du mix électrique global en 2040. Or, cette croissance va créer des difficultés importantes pour la stabilité des systèmes électriques.
Ainsi, l’intermittence des ENR provoque un découplage entre l’offre et la demande avec la création de surcapacités ou de pénuries. Les ENR peuvent dès lors inonder les marchés à certains moments de la journée et arrêter de produire dans d’autres. Cette intermittence est particulièrement problématique aux heures de pointe. Les opérateurs doivent en effet compter sur des générateurs de réserve afin d’équilibrer l’absence de production des renouvelables.
Pourtant, cette capacité de réserve dépend en grande partie des prix de l’électricité, les producteurs devant absorber leurs coûts fixes. Or, l’intégration des ENR favorise la chute des prix car leur production se fait souvent à coût marginal nul. Ainsi, se forme un cercle vicieux où les ENR fragilisent les capacités de réserve dont dépend pourtant l’équilibre du réseau.
L’exemple du Royaume-Uni
Le Royaume-Uni représente un cas emblématique de cette difficulté à intégrer les énergies renouvelables. Le pays possède en effet la plus grande flotte éolienne offshore du monde. Cette énergie devrait produire près de 40 GW d’électricité en 2030 selon les objectifs du gouvernement.
Cependant, le développement de cette énergie risque de créer des pénuries d’électricité dans les mois et années à venir. Ainsi, début novembre, la production éolienne a chuté de 17 GW à 2,5 GW du fait du temps calme. Dans le même temps, plusieurs centrales à gaz et nucléaires réalisaient des travaux de maintenance. Ironie de la situation, la pénurie ne fut évitée in fine qu’en utilisant le charbon comme capacité de réserve.
L’essor des énergies renouvelables et la flexibilisation des systèmes électriques
L’essor de l’éolien offshore a donc eu pour conséquence de fragiliser l’équilibre des marchés électriques britanniques. Néanmoins, cet épisode a permis également de mettre en avant la nécessaire flexibilisation des systèmes électriques afin d’intégrer les ENR.
L’enjeu du stockage de l’énergie
La première solution favorisant l’intégration des renouvelables concerne les technologies de stockage d’énergie. Avec ces technologies, la production intermittente des ENR pourrait être stockée puis redistribuée aux heures de pointe. Aujourd’hui, l’essentiel du stockage d’énergie se réalise à travers le pompage-turbinage issu de l’hydroélectricité. Cependant, l’avenir du stockage se trouve plutôt dans le développement des batteries de grande capacité.
La diminution constante des prix des batteries lithium-ion, ces dernières années, est ainsi une excellente nouvelle pour les opérateurs électriques. Néanmoins, ces batteries souffrent encore d’une densité énergétique trop faible pour stocker une quantité importante d’électricité. De même, les enjeux liés aux métaux critiques constituent un frein important pour l’usage de cette technologie.
L’interconnexion des réseaux
En attentant le développement du stockage d’énergie, l’opérateur d’électricité peut se tourner vers l’interconnexion des réseaux. Cette solution permet à un réseau en pénurie de trouver de l’électricité auprès d’un autre réseau. Par exemple, le Danemark a réussi à intégrer 44 % d’éolien dans son électricité grâce à l’interconnexion avec ses voisins.
Cette solution implique cependant une véritable coordination entre les États. En outre, elle ne peut fonctionner que si tous les États ne dépendent pas d’une même source d’énergie. Le Danemark a ainsi bénéficié de l’hydroélectricité et du nucléaire de ses voisins afin d’équilibrer son réseau.
La flexibilité de la demande
L’un des grands enjeux pour les systèmes électriques de demain sera de flexibiliser la demande d’électricité. Aujourd’hui, la demande reste principalement passive. Or, la digitalisation de la société permet aux consommateurs d’optimiser davantage leur consommation par un meilleur accès aux informations. Les compteurs intelligents peuvent, par exemple, favoriser le contrôle en temps réel des ménages sur leur utilisation d’électricité.
De même, la digitalisation permet à des agrégateurs de pouvoir « effacer » une partie de la demande. Le principe consiste à déléguer à un tiers la gestion de sa consommation d’électricité afin qu’il la maximalise. Ainsi, en cas de pénurie d’électricité, l’agrégateur offre davantage de flexibilité aux opérateurs électriques pour réduire la demande. En conférant un rôle actif au consommateur, la flexibilisation est donc un concept clé dans l’intégration systémique des ENR.
Par conséquent, l’avertissement lancé par l’ESO peut servir d’aiguillon pour une plus grande flexibilisation des systèmes électriques. En effet, la flexibilité est un outil indispensable pour permettre l’intégration des ENR et maîtriser les risques de blackout.