Alors que le monde a les yeux rivés sur la situation en Ukraine et les difficultés énergétiques qui en découlent pour l’UE, un autre fournisseur énergétique de l’Union inquiète les Européens. L’Algérie, ce grand pays d’Afrique du Nord, possède d’importantes ressources d’hydrocarbures. À elle seule, elle fournit près de 11% de gaz à l’Europe, principalement à l’Espagne. Bien que la part du gaz algérien dans le mix énergétique européen soit modérée, les tensions récentes entre l’Espagne et l’Algérie font craindre la perte d’un autre fournisseur pour l’Europe. Ceci alors que, précisément, l’UE est à la recherche d’autres partenaires pour remplacer la Russie.
Un conflit diplomatique autour de la question du Sahara occidental
Territoire désertique situé au sud du Maroc et à l’ouest de l’Algérie, le Sahara occidental est une ancienne colonie espagnole qui n’a toujours pas de statut définitif depuis le départ de l’Espagne en 1976. Depuis cette date, le territoire a connu de multiples épisodes de conflits. En outre, le voisin marocain revendique l’entièreté du territoire. Tandis que le Front Polisario, soutenu par l’Algérie, souhaite l’indépendance totale du Sahara occidental. Ainsi, les divergences sur cette question rendent les relations entre le Maroc et l’Algérie difficiles et conflictuelles.
Le Maroc a toujours essayé d’obtenir un soutien international sur la reconnaissance de son autorité sur le territoire sahraoui. Et depuis quelques années, il a réussi à obtenir le soutien de plusieurs pays dont les États-Unis et l’Espagne. Ceux-ci soutiennent l’idée d’une autonomie régionale du Sahara occidental au sein du Royaume du Maroc.
Bref, les positions de Madrid concernant le statut du territoire sahraoui ne sont pas appréciées par l’Algérie. Par conséquent, le pays a récemment suspendu un traité d’amitié de 20 ans avec l’Espagne. De surcroît, elle a pris des mesures pour limiter le commerce avec son voisin ibérique. Commerce, qui se réalise surtout dans le domaine de l’énergie dont le gaz. D’où les inquiétudes concernant un arrêt de l’approvisionnement.
Un arrêt de l’approvisionnement en gaz ?
Bien que le gaz continue de circuler normalement, une perturbation ébranlerait davantage les marchés énergétiques déjà tendus, où les prix atteignent des records. Un arrêt de l’approvisionnement du Maghreb vers l’Europe inquiète les Européens déjà impactés par les perturbations de l’offre russe.
L’Algérie a déjà averti l’Espagne en avril qu’elle pourrait mettre fin à ses approvisionnements si Madrid vendait du gaz algérien à d’autres pays. En outre, selon le ministère espagnol de l’Énergie, l’Espagne envisage d’envoyer du gaz, surtout du gaz naturel liquéfié (GNL), au Maroc. Mais assure cependant que cela ne sera pas du gaz algérien.
Malgré les avertissements, le président de la République algérienne a fait savoir dans un communiqué « qu’elle continuera à honorer tous ses engagements ». Le président algérien Abdulmadjid Tebboune avait même déclaré :
« Nous assurons les amis espagnols, le peuple espagnol que l’Algérie ne renoncera jamais à son engagement de fournir du gaz à l’Espagne, quelles que soient les circonstances. »
Bien que l’Algérie se montre rassurant concernant les approvisionnements en gaz durant cette période de troubles pour l’Europe, il est intéressant de se poser la question des conséquences d’un arrêt des échanges gaziers.
La dépendance de l’Espagne au gaz d’Algérie
Avant tout, il faut savoir que l’Espagne importe la quasi-totalité de ses besoins en gaz. L’année dernière, la part du gaz algérien atteignait près de la moitié des importations. Toutefois, entre janvier et avril, les importations de gaz d’Algérie ont diminué de moitié, représentant désormais le quart des importations. En cause, Alger a cessé d’utiliser un gazoduc traversant le Maroc en octobre dernier. Aussi, l’Espagne a décidé de se tourner vers les États-Unis pour se fournir en GNL. Par conséquent, les États-Unis sont devenus le premier fournisseur de gaz de l’Espagne.
Le gaz algérien s’achemine par le gazoduc sous-marin Medgaz, dont la société publique algérienne Sonatrach détient 51 % et le groupe gazier espagnol Naturgy 49%. Il arrive également par bateau sous forme de GNL.
Les relations énergétiques entre les deux pays sont profondes. En somme, plusieurs entreprises sont impliquées dans le développement des énergies en Algérie. Par exemple, Naturgy dispose de contrats d’approvisionnement à long terme avec Sonatrach. Aussi, Repsol détient des participations dans quatre projets pétroliers et gaziers en Algérie et exploite des champs gaziers. Enfin, Cepsa développe également des champs pétroliers.
Ainsi, un conflit gazier entre Alger et Madrid remettrait en cause les investissements des sociétés énergétiques espagnoles dans le pays du Maghreb. Cela causerait une possible pénurie de gaz en Espagne, surtout, mais aussi dans d’autres pays européens. Par ailleurs, cela provoquerait également une diminution des revenus étatiques en Algérie.
L’Espagne est confiante sur ses approvisionnements d’Algérie
La ministre espagnole de l’Énergie, Teresa Ribera, est confiante. Elle pense que la situation restera inchangée quand la radio Onda Cero lui a demandé si Sonatrach continuerait à honorer ses contrats.
« Les relations commerciales qui existent entre Sonatrach, qui vend du gaz, et les entreprises espagnoles qui achètent du gaz sont des relations contractuelles, commerciales, et j’ai confiance que cela restera tel quel. Si ce n’est pas le cas, ce serait un problème différent, plus complexe, à résoudre. Non pas par la diplomatie mais probablement par l’arbitrage ou les tribunaux. Pour l’instant, j’ai la plus grande confiance. »
Enfin, la ministre ajoute que rien ne lui fait penser que « cela pourrait s’effondrer unilatéralement à cause d’une décision du gouvernement algérien. »
Par ailleurs, les entreprises énergétiques espagnoles affichent également des positions confiantes. Naturgy affirme travailler normalement avec son partenaire Sonatrach. Son directeur général avait déclaré, dans le journal La Vanguardia, que sa société a conclu un contrat d’approvisionnement en gaz avec Sonatrach jusqu’en 2032, avec des dispositions prévoyant une révision des prix tous les trois ans.
Si l’Espagne et ses entreprises ne s’affolent pas sur un possible arrêt des approvisionnements, alors pourquoi cela inquiète tant ?
Implications de l’Union européenne
Comme nous l’avons vu plus tôt, l’UE s’inquiète de perdre un autre fournisseur important d’énergie. De plus, les blocages commerciaux que l’Algérie impose touchent directement à une prérogative commerciale de l’UE. Ainsi, les tensions entre l’Espagne et l’Algérie impliquent davantage d’acteurs que ces deux pays.
Selon des hauts fonctionnaires, la décision de l’Algérie de bloquer le commerce avec l’Espagne après une dispute diplomatique constituerait une violation du droit commercial de l’UE. Josep Borell, chef de la politique étrangère de l’UE, et Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne, déclarent que :
« L’UE est prête à s’opposer à tout type de mesures coercitives appliquées à un État membre de l’UE. Toutefois, l’UE continue de privilégier le dialogue en premier lieu pour résoudre les controverses. »
Cette prise de position intervient après que le ministre espagnol des Affaires étrangères s’est rendu à Bruxelles. Il ajoute que « l’Espagne n’a pas pris une seule décision qui affecte l’Algérie ».
« Nous voulons une relation basée sur l’amitié, le dialogue, le respect mutuel et la non-ingérence dans les affaires intérieures. »
En guise de réponse, l’Algérie se contente de rejeter les commentaires « hâtifs » de l’UE.
Un arrêt des approvisionnements du gaz d’Algérie vers l’Espagne reste sur la table
Nous voyons ici qu’en s’en prenant à l’Espagne, l’Algérie s’attaque également aux intérêts de l’UE. Celle-ci essaye de se passer des hydrocarbures russes et cherche à tout prix à diversifier son approvisionnement. Lorsque l’Union apprend que des tensions entre un de ses membres et un important fournisseur gazier menacent le commerce, dont l’énergie est le principal domaine d’échange, alors les inquiétudes deviennent importantes.
Désormais, le trafic de marchandises entre l’Espagne et l’Algérie s’amenuise et les conteneurs s’empilent dans les ports. Les entreprises non-énergétiques sont durement affectées et perdront des possibilités d’investissements. L’économiste en chef de la Banque centrale espagnole, Angel Gavilan, estime que le différend diplomatique avec l’Algérie pourrait avoir un impact significatif sur l’économie espagnole et sur l’inflation à court terme.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que ces tensions profitent à la Russie, allié important de l’Algérie. Leurs relations s’intensifient dans le domaine de l’énergie en témoignent les multiples visites des représentants, dont celle de Sergueï Lavrov en mai. De plus, les deux nations collaborent étroitement au sein de l’OPEP+. Il est légitime de se demander si la Russie ne profitera pas de l’espace laissé par l’Europe pour s’implanter davantage en Algérie. Et il en va de même pour la Chine, principal partenaire commercial de l’Algérie.
Cet épisode diplomatique entre l’Algérie et l’Espagne n’est sans doute pas le dernier de la liste. En outre, la question du Sahara occidental est loin d’être réglée. L’Algérie ne changera pas de sitôt sa position, autant que le Maroc ou certains pays européens. En ces temps où tout est imprévisible, en témoigne la guerre en Ukraine, le gaz reste alors une carte importante dans le jeu de l’Algérie. D’où les préoccupations d’un arrêt de l’approvisionnement en gaz.