A Chetrosu, au sud de la capitale moldave Chisinau, un silence inhabituel règne dans un grand hangar.
D’ordinaire, on y fabrique des matériaux de construction mais la guerre en Ukraine voisine a provoqué un séisme économique.
“En temps normal, toutes les machines de la ligne de production sont en marche et c’est extrêmement bruyant”, lance le fondateur Ion Ignat.
Seules deux mésanges charbonnières viennent rompre le silence de l’usine, perchées sur une poutre des lieux provisoirement à l’abandon.
Face à l’envolée des prix, le patron a pris début octobre la décision d’arrêter la production, pour la première fois depuis la création de son entreprise en 1992.
Inflation galopante, chute des livraisons de gaz russe et tensions sur le marché de l’électricité: cette ex-république soviétique de 2,6 millions d’habitants, nichée entre la Roumanie et l’Ukraine, est plongée dans une grave crise énergétique.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, est attendue en Moldavie jeudi pour discuter d’un renfort de l’aide à ce pays qui rêve d’une adhésion à l’UE.
Un pied dans l’UE, un pied en Russie
“C’est un défi quotidien pour trouver de l’énergie”, soulignait la semaine dernière sa dirigeante Maia Sandu.
Cette vulnérabilité “génère un chantage politique et une ingérence dans une démocratie” tiraillée entre Est et Ouest, déplorait-elle, fustigeant des tentatives de déstabilisation orchestrées par “les services secrets russes” et leurs relais sur place et en exil.
Quelques jours plus tôt, les Etats-Unis avaient sanctionné des oligarques moldaves “afin de contrer les campagnes d’influence persistantes de la Russie”.
La Moldavie, dépendante avant le conflit à quasiment 100% du gaz livré par le géant Gazprom, connaît depuis plusieurs semaines des difficultés d’approvisionnement. Désormais, seule la moitié de ses besoins sont couverts.
Quant à l’électricité, 30% de la demande était auparavant assurée par l’Ukraine, mais les frappes russes sur les infrastructures énergétiques ont obligé Kiev à stopper tout export vers son voisin moldave.
Les 70% restants sont normalement fournis par la centrale thermique de Cuciurgan, située dans la région séparatiste prorusse de Transdniestrie. Or, depuis le 1er novembre, la part a été fortement réduite, tombant à un peu plus d’un quart.
Lampadaires éteints la nuit, ascenseurs à l’arrêt, le gouvernement serre la vis. La Roumanie fournit par ailleurs depuis mi-octobre de l’électricité à un prix plafonné.
La situation ne pourra pas durer, prévient Ion Ignat. Dès le 24 février, début de l’offensive russe, “nous avons augmenté la cadence car je savais que la Russie allait nous faire chanter”, explique-t-il.
“Aujourd’hui j’écoule mes excédents de briques, ce qui me permet de garder mes 50 employés sans les mettre au chômage technique”, poursuit-il. Mais que se passera-t-il dans quelques mois?
“Nous avons un pied dans l’UE, et un pied dans la fédération russe mais si nous faisons preuve de courage et de dignité, nous aurons les deux pieds en Europe et nous pourrons nous défaire de l’influence de ces trente dernières années”, espère le sexagénaire.
Dans le noir
Dans les entreprises plus petites, le climat est encore plus sombre. Entre les cuves de sa brasserie artisanale, la première du pays, Serguei Litra subit la flambée des cours de l’énergie, qui touche en cascade le prix de ses matières premières comme le houblon et le verre. Sa facture d’électricité a en outre triplé.
En concertation avec ses six employés, il réfléchit à “augmenter les tarifs, au risque de réduire les ventes”. Et pour s’adapter aux nouvelles restrictions nationales, il produit en dehors des heures de pointe.
L’entrepreneur envisage d’investir dans les panneaux solaires, en quête d’indépendance énergétique – “seule solution durable car personne ne sait quand la guerre finira”.
Du côté des ménages, l’arrivée des frimas de l’hiver va compliquer la donne, les factures atteignant déjà “70% des revenus de certaines familles” selon la présidente Maia Sandu.
Les foyers se préparent à des pénuries de gaz, dont la demande double en général entre octobre et novembre, et à de possibles coupures de courant alors que la Moldavie risque de renforcer ses mesures d’économies d’énergie.
Dans le parc Stefan Cel Mare, au coeur de la capitale, Liliana Damaschin, une pharmacienne de 54 ans, profite des dernières lueurs du jour sous un arbre.
En visite dans son pays natal pour quelques jours après six ans en Italie, l’inquiétude se lit sur son visage. “J’ai ressenti une profonde tristesse en voyant Chisinau plongé dans le noir hier”, souffle-t-elle.