“Nous avons besoin du pétrole russe!”. À la raffinerie de Schwedt, aux confins orientaux de l’Allemagne, les ouvriers sont très inquiets de la perspective d’un arrêt des importations de brut de ce pays, qui menace leurs emplois. Ils ont exprimé leurs vives craintes lundi lors d’une visite du ministre de l’Economie et vice-chancelier, Robert Habeck, poids lourd du gouvernement.
“Nous avons nos maisons, nos familles. S’il (le ministre) veut arrêter (la raffinerie), alors toute la zone ici va mourir”, s’emporte auprès de l’AFP Thorsten Scheer, un employé de l’usine PCK de cette petite ville frontalière de la Pologne.
“Nous avons besoin du pétrole russe!”, ajoute ce sexagénaire dans la foule des ouvriers en combinaisons vertes et orange réunis à l’occasion de la venue de M. Habeck.
Devant les stands de saucisses grillées servies pour l’occasion, un autre salarié qui a requis l’anonymat va plus loin, assurant que selon lui, un embargo sur les énergies russes ne fera pas taire les armes en Ukraine. “Poutine enverra son pétrole ailleurs. Le pétrole est précieux. C’est là le problème. Cela ne mettra pas fin à la guerre”, dit cet employé de 48 ans.
“Nos emplois sont en jeu”
“La situation est stressante pour tout le monde. Nos emplois sont en jeu”, martèle-t-il, résumant le sentiment des 1.200 salariés de cet ancien combinat est-allemand alimenté en pétrole russe depuis les années 1960.
L’usine de Schwedt, à une centaine de kilomètres de Berlin, fournit environ 90% du carburant et du combustible consommés dans la capitale et sa région, y compris le kérosène de l’aéroport international. Mais depuis l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février, l’inquiétude est de mise.
Car si l’Allemagne refuse un embargo immédiat sur l’ensemble des énergies russes, notamment le gaz, elle veut s’en libérer progressivement et quasiment stopper ses achats de pétrole russe d’ici la fin de l’année. La première économie européenne a déjà fortement réduit sa dépendance envers les importations de pétrole russe, descendue ces dernières semaines à 12%, contre 35% auparavant.
Or ce pétrole est la raison d’être de la raffinerie de Schwedt où débouche une branche du plus long oléoduc du monde baptisé “Droujba” (“amitié” en russe), qui part du sud-est de la Russie. Le géant pétrolier russe Rosneft, contrôlé par le Kremlin, est en outre actionnaire majoritaire du site.
Intérêts américains
Certains ouvriers accusent Berlin de servir les intérêts américains dans cette bataille autour des énergies. “Oui, la guerre, c’est n’importe quoi! C’est parfaitement clair pour nous”, lance un employé à ses collègues.
“Mais pourquoi devrions-nous soudainement interdire un partenaire commercial qui nous a livré de manière fiable pendant des décennies ?”, s’interroge-t-il.
“Nous recevons une matière première et nous la transformons. Si cette matière première est interrompue par souci de correction politique, ce n’est pas correct à mes yeux”, proteste-t-il.
En cette fin de journée chaude et printanière, Robert Habeck tente de rassurer les employés massés sur le site de l’usine. En bras de chemise noire, l’écologiste, réputé pour ses talents d’orateur, a grimpé sur une table installée près de la cantine des ouvriers.
“Depuis le début, il a toujours été question de préserver autant que possible ce site PCK”, affirme-t-il, tout en se disant “pleinement conscient” que les décisions politiques prises à Berlin ont suscité “une grande incertitude” à Schwedt.
“Des temps difficiles” sont de nouveau à prévoir dans cette raffinerie qui a survécu à la réunification allemande moyennant une sévère et douloureuse restructuration, prévient-il aussi, reconnaissant que la situation n’est “pas bonne”.
“J’aimerais que vous ne me considériez pas seulement comme votre ennemi”, lance-t-il encore aux salariés. “Mais aussi comme quelqu’un qui essaie vraiment de sauver et de maintenir ce site en vie et de le conduire vers l’avenir”. Et d’énoncer les conditions pour que le site soit sauvé : des livraisons de pétrole en provenance d’autres pays via le port proche de Rostock, une aide financière du gouvernement et une nouvelle structure de contrôle de l’usine pour écarter le russe Rosneft.