À quelques jours des élections fédérales australiennes, les acteurs économiques scrutent attentivement les scénarios possibles concernant l’avenir du Safeguard Mechanism, dispositif central régulant les émissions industrielles. Ce mécanisme oblige les grands émetteurs à respecter une baisse annuelle de 4,9 % de leurs émissions, jusqu’en 2030. Ces entreprises doivent ainsi compenser leurs dépassements en utilisant des Australian Carbon Credit Units (ACCU) ou des Safeguard Mechanism Credits (SMC). Depuis fin 2024, les anticipations liées à ces élections ont introduit une volatilité significative dans le marché, les ACCU oscillant récemment entre 33 et 35 dollars australiens par tonne.
Impact d’une victoire de la coalition libérale-nationale
Selon plusieurs analystes du secteur, une victoire du Parti libéral-national pourrait conduire à un assouplissement du Safeguard Mechanism, diminuant ainsi les contraintes sur les industries fortement émettrices de CO2. Cela pourrait engendrer une révision potentielle des engagements australiens pris dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat. En pratique, un tel changement se traduirait par une augmentation des sorties anticipées des contrats de livraison fixes d’ACCU. Cela renforcerait l’offre sur le marché secondaire, exerçant ainsi une pression baissière sur les prix des crédits carbone à court terme.
D’après John Connor du Carbon Market Institute, ce scénario nécessiterait toutefois une forte majorité au Sénat pour être pleinement mis en œuvre, car une modification des règles actuelles demande une approbation législative approfondie. Matt Pollard, analyste chez Climate Energy Finance, souligne quant à lui qu’un gouvernement libéral-national pourrait ainsi créer temporairement une situation d’excès d’offre d’ACCU, susceptible de peser durablement sur les cours.
Scénario alternatif : consolidation du dispositif sous un second mandat travailliste
À l’inverse, une réélection du Parti travailliste, potentiellement appuyé par les indépendants « Teal » ou les Verts australiens, entraînerait probablement un durcissement des normes environnementales. Abhijeet Thakkar, analyste senior chez S&P Global Commodity Insights, estime qu’un tel scénario pourrait maintenir voire renforcer le taux annuel de réduction des émissions fixé à 4,9 %. Ce maintien soutenu des contraintes réglementaires pourrait restaurer la confiance des marchés et favoriser une remontée des prix vers la limite haute, proche d’un plafond envisagé à 75 AUD par tonne, mentionné précédemment par le ministre du Climat Chris Bowen.
Dans ce cadre, les Verts proposent également de limiter davantage l’usage des crédits ACCU aux seuls secteurs industriels jugés difficiles à décarboner, réduisant ainsi mécaniquement l’offre disponible pour compenser les émissions. Une telle mesure pourrait alors exercer une pression haussière supplémentaire sur les prix, tout en restreignant les marges de manœuvre des grands émetteurs industriels australiens.
Projections de marché à moyen terme
Malgré les incertitudes immédiates, les analystes prévoient un rééquilibrage progressif du marché après les élections. Selon Tasman Environmental Markets, les prix des ACCU pourraient connaître une phase de stabilité autour des 40 AUD par tonne à partir de 2025, en raison d’un surplus temporaire d’offre attendu jusqu’en 2028. Cette surproduction découlerait notamment d’un excédent accumulé durant les années de faible demande induites par l’incertitude politique.
Selon l’enquête Australian Business Climate Survey 2024 du Carbon Market Institute, environ deux tiers des répondants anticipent néanmoins un renforcement significatif des prix à l’horizon 2035, avec des estimations dépassant les 90 AUD par tonne. Ce niveau reflèterait une probable augmentation structurelle de la demande liée à une accélération de la réglementation climatique internationale et des contraintes locales toujours plus exigeantes.
Dans un contexte économique où les questions de coût de la vie dominent actuellement les préoccupations politiques en Australie, l’évolution des politiques climatiques nationales sera déterminante pour le positionnement stratégique des entreprises et investisseurs dans les prochaines années.