Le projet de développement de nouveaux réacteurs nucléaires en Suède est actuellement au cœur d’un débat intense, avec des critiques émanant d’experts concernant la méthodologie utilisée dans un récent rapport gouvernemental. Arne Kaijser, professeur émérite à l’Institut royal de technologie de Suède, a publiquement exprimé ses doutes sur les conclusions de ce rapport, qui vise à éclairer les décisions politiques sur l’extension du parc nucléaire du pays.
Un rapport fondé sur une unique projection
Le principal reproche formulé par Kaijser est l’absence de scénarios alternatifs concernant la demande future en électricité. Selon lui, le rapport s’appuie sur une projection unique, celle d’une augmentation constante de la consommation électrique, particulièrement dans le nord de la Suède. Des projets industriels, notamment dans la production d’acier sans combustibles fossiles, nécessiteraient en effet une quantité importante d’électricité. Cependant, Kaijser souligne que ces prévisions pourraient être inexactes et qu’il serait prudent de considérer la possibilité que ces industries choisissent d’opérer ailleurs pour des raisons économiques.
Les risques d’un surplus d’électricité
Les implications d’un tel écart entre la demande prévue et la demande réelle pourraient être significatives. Si la Suède décidait de construire des réacteurs pour alimenter ces industries et que leur besoin en électricité ne se concrétisait pas, le pays pourrait se retrouver avec un excédent d’électricité. Kaijser a insisté sur ce point lors d’un séminaire organisé par l’Académie royale des sciences de l’ingénieur (IVA) à Stockholm, affirmant que cette hypothèse pourrait gravement nuire à la crédibilité du rapport.
Défense des auteurs du rapport
Bjorn Carlen, membre du groupe ayant rédigé le rapport, a pour sa part défendu l’étude en expliquant que le mandat initial se concentrait sur la volonté du gouvernement de promouvoir le nucléaire, plutôt que d’explorer un éventail de scénarios sur la demande énergétique. Le rapport avait pour objectif de conseiller sur les mécanismes de financement et de partage des risques pour la construction de nouvelles centrales.
Ambitions gouvernementales et réponses
Le gouvernement suédois, dirigé par la ministre de l’Énergie, Ebba Busch, a déjà entrepris des démarches pour favoriser la construction de nouveaux réacteurs, avec pour ambition d’installer 2,5 gigawatts (GW) de capacité nucléaire d’ici 2030 et l’équivalent de dix réacteurs de grande taille d’ici 2045. À ce jour, plusieurs agences gouvernementales ont fourni des estimations indiquant une hausse de la consommation d’électricité à l’avenir, en dépit des inquiétudes soulevées quant à un potentiel surplus de production.
La question de la propriété des réacteurs
Kaijser a également évoqué la question de la propriété des infrastructures nucléaires. Il a suggéré que la Suède adopte un modèle similaire à celui de la France, où l’État possède directement les réacteurs. Cela permettrait, selon lui, de contrôler plus facilement les coûts de construction et d’arrêter un projet si les dépenses devenaient trop élevées. Actuellement, en Suède, Vattenfall, une entreprise publique, gère les réacteurs nucléaires selon des principes commerciaux. Toutefois, le gouvernement suédois a, par le passé, tenté d’intervenir dans certaines de ces décisions.
Le futur des réacteurs modulaires
En outre, Kaijser a recommandé d’attendre avant de s’engager dans de nouveaux projets nucléaires, notamment pour voir si les réacteurs modulaires de petite taille (SMR) allaient effectivement devenir une solution viable. Il a estimé qu’un délai de dix ans permettrait non seulement de suivre les avancées internationales dans ce domaine, mais également de former une nouvelle génération d’ingénieurs nucléaires, la plupart des experts ayant construit les anciens réacteurs suédois étant désormais à la retraite.