Dana Gas, producteur de gaz naturel basé aux Émirats arabes unis, a conclu un protocole d’accord (memorandum of understanding – MoU) avec la Syrian Petroleum Company, opérateur public syrien, en vue de relancer des actifs gaziers dans la région d’Abu Rabah, au centre du pays. L’initiative intervient alors que plusieurs juridictions occidentales, dont l’Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis, ont allégé certaines restrictions visant le secteur énergétique syrien.
Un projet sur gisement mature sous contrainte sécuritaire
Le périmètre visé inclut notamment Abu Rabah, un champ gazier historiquement stratégique nécessitant d’importantes opérations de remise à niveau. Le site se situe à environ 135 kilomètres à l’intérieur du territoire syrien, dans une zone exposée aux risques logistiques et sécuritaires. La remise en service impliquerait la réhabilitation des têtes de puits, des systèmes de collecte, de traitement et d’évacuation vers les centrales électriques.
L’accord non contraignant signé entre les deux parties permettrait à Dana Gas de sécuriser une position anticipée dans un marché domestique sous tension, tout en testant la viabilité d’un retour progressif des investissements étrangers dans l’énergie syrienne. Le projet s’inscrit dans la stratégie énergétique nationale visant à substituer le fioul et le gasoil par du gaz domestique dans la production électrique.
Assouplissements réglementaires et fenêtres d’investissement
L’opération est rendue possible par une série d’assouplissements. L’Union européenne a suspendu certaines restrictions sectorielles sur l’énergie et les transports en février 2025, tandis que le Royaume-Uni a levé plusieurs interdictions ciblant la banque centrale syrienne. Aux États-Unis, le Bureau de contrôle des avoirs étrangers (Office of Foreign Assets Control – OFAC) a émis une licence générale temporaire autorisant certaines transactions dans un cadre limité.
Ces dérogations ne sont valables que pour une période de 180 jours et imposent des restrictions strictes, notamment l’exclusion de toute entité russe ou iranienne. Dana Gas devra également filtrer ses partenaires et prestataires via des listes consolidées, afin de rester en conformité avec les exigences britanniques, européennes et américaines.
Un pari mesuré sur la croissance post-KM250
Pour Dana Gas, ce MoU représente une option de croissance à faible engagement, dans le sillage du projet KM250 développé dans la Région du Kurdistan d’Irak. Aucun investissement direct ne sera engagé avant la finalisation d’études techniques et la validation d’un cadre fiscal et contractuel, probablement sous forme de contrat de partage de production (production sharing contract – PSC).
La décision finale d’investissement dépendra de plusieurs facteurs, dont la structuration des paiements via un mécanisme de comptes séquestres, l’obtention d’assurances adaptées aux risques politiques et opérationnels, et l’existence d’un acheteur souverain fiable. L’horizon de production est estimé à plus de dix-huit mois.
Exposition réglementaire, financière et géopolitique
Le projet reste exposé à un éventuel retour en arrière des régimes de sanctions. Un scénario de “snap-back” mettrait fin aux autorisations temporaires et contraindrait Dana Gas à se retirer, sans recours financier significatif si des clauses de sortie anticipée sont intégrées. La zone ciblée est également sujette aux interruptions logistiques, à la volatilité sécuritaire et à une faible disponibilité des ressources techniques.
Le projet requiert par ailleurs des couvertures d’assurance coûteuses, incluant les risques politiques, le sabotage et la responsabilité civile de l’opérateur. Les banques correspondantes se montrent encore prudentes, en l’absence de clarification transactionnelle de l’OFAC.
Un test régional pour la normalisation énergétique syrienne
Si le projet évolue sans incidents, il pourrait constituer un précédent stratégique pour d’autres acteurs de la région Moyen-Orient Afrique du Nord (MENA), en dehors des sphères d’influence russes ou iraniennes. Des protocoles similaires pourraient émerger dans le raffinage ou la production d’électricité si la dynamique de “normalisation sous garde-fous” se confirme.
Le scénario reste toutefois suspendu aux prolongations des licences américaines, à l’évolution des régimes de sanctions et à la capacité des opérateurs à sécuriser les conditions contractuelles, financières et sécuritaires indispensables à la reprise effective des flux gaziers.