Les crédits carbone inquiètent les pays hôtes, surtout dans le cadre de projets internationaux. Néanmoins, ces pays doivent respecter l’Accord de Paris et atteindre leurs objectifs climatiques.
De fait, les pays hôtes craignent le rôle croissant des acteurs internationaux utilisant des crédits carbone. Ces derniers sont tenus de respecter les objectifs fixés par l’Accord de Paris, notamment leurs Nationally Determined Contributions (NDC).
Cet accord permet, en vertu de son article 6, la vente des crédits carbone produits localement ou l’achat de ces crédits sur le marché international. Cet article prévoit le partage des revenus entre les développeurs de projets et les propriétaires fonciers privées, dans le cadre du voluntary carbon market (VCM). Ce partage peut s’effectuer de manière opaque.
Inquiétude des pays hôtes
Les pays hôtes craignent que leurs gouvernements ne puissent pas atteindre leurs propres objectifs NDC, en accordant trop de crédits carbone. Les pays ne souhaitent pas que les crédits dans le cadre du VCM ou du marché souverain du carbone ne soient vendus à l’étranger.
En réaction, certains pays hôtes comme le Honduras ou l’Indonésie ont introduit des moratoires sur les activités carbone. Selon les observateurs, d’autres pays pourraient suivre cette tendance.
Par exemple, la Papouasie-Nouvelle-Guinée a mis un terme à tous les projets forestiers sur son sol en mars. Puis, en avril, l’Indonésie a temporairement stoppé certaines activités liées au carbone, y compris celles en lien avec la nature. Le pays justifie son choix en souhaitant aligner toutes les activités déroulant sur son sol avec les politiques nationales.
Ensuite, en juin, le Honduras a suspendu tous les projets carbone volontaires basés sur la nature.
Hugh Salway, responsable des marchés chez Gold Standard, certificateur de projets environnementaux, a déclaré:
« Nous entrons dans une nouvelle phase des marchés du carbone. […] Plus de gouvernements pourraient prendre des mesures qui affectent le marché volontaire au cours des prochains mois, dont certaines peuvent présenter des opportunités pour les investisseurs et d’autres peuvent comporter des risques. »
Conflit potentiel entre les acteurs locaux et internationaux
Dans le cadre d’activités forestières, les acteurs internationaux sont susceptibles d’occuper tout l’espace disponible. Les activités de ces acteurs peuvent se dérouler dans des petits pays tels que la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il y a un risque de ne plus pouvoir produire des crédits carbone pour les acteurs locaux et le gouvernement.
Dans ces conditions, le pays hôte est contraint d’acheter des crédits à l’étranger, avec l’argent du contribuable ou bien par l’endettement. Par ailleurs, Kévin Conrad, directeur exécutif de la Coalition of Rainforest Nations (ONG), a déclaré:
« Les activités du VCM ne laissent aucun profit aux pays hôtes. […] Tous les bénéfices sont pris à l’étranger. »
En outre, Ben Rattenbury, responsable des politiques à Sylvera, évaluateur de projets, aborde la problématique des crédits REDD+:
« Dans de nombreux pays, les crédits REDD+ ne peuvent être délivrés qu’après que le propriétaire foncier a cédé ses droits carbone à l’entreprise qui développe le projet. […] Dans ce scénario, des tensions entre les intérêts des propriétaires fonciers (généralement des organisations privées) et les gouvernements pourraient survenir. »
Par conséquent, un conflit potentiel est envisageable. D’un côté, les propriétaires souhaitent développer des partenariats avec des acteurs internationaux et faire des bénéfices. De l’autre côté, le gouvernement local voit se réduire son potentiel de production de réductions d’émissions.
Il faut donc trouver un équilibre entre les bénéfices pour les pays d’accueil et l’attractivité pour les investisseurs.
Les objectifs NDC à respecter
Kévin Conrad explique:
« Les pays hôtes essaient de déterminer quelle est la meilleure stratégie pour atteindre leurs NDC .»
Pour respecter les NDC, les pays doivent se coordonner avec les acteurs nationaux actifs, dans les secteurs industriels où la décarbonation est cruciale.
Pour ce faire, le gouvernement doit demander à ces acteurs de réduire leurs émissions. Cela permettra de pouvoir recourir aux crédits carbone.
La nécessité de se coordonner peut expliquer les différents moratoires observés au cours des derniers mois, selon International Emissions Trading Association.
Andrea Bonzanni, directeur de la politique internationale au sein de cette association, a déclaré:
« Les gouvernements commencent à évaluer le rôle des marchés dans le respect de leurs CDN et les interactions entre les instruments nationaux, le marché volontaire du carbone et l’article 6. […] Ils peuvent sélectionner certains secteurs industriels, imposer une obligation aux émetteurs, et offrir la possibilité de compenser par l’utilisation de crédits carbone. »
Par ailleurs, l’impact méconnu des activités VCM sur les objectifs NDC peut expliquer les préoccupations étatiques, d’après Rattenbury de chez Sylvera.
Un éclairage sur la situation
Rattenbury envisage deux manières pour résoudre le problème.
D’une part, il ne devrait être plus nécessaire pour les acheteurs d’entreprise de passer par une autorité de certification. Par conséquent, le pays hôte pourrait parallèlement utiliser les mêmes crédits sur son territoire pour respecter ses NDC.
D’autre part, les acheteurs d’entreprise pourraient obtenir un ajustement correspondant du gouvernement hôte. Autrement dit, les gouvernements n’utilisent pas les crédits carbone utilisés par les entreprises contre des NDC.
Des règles permettant aux pays d’accueil de conserver une partie des réductions d’émissions émises pourraient venir compléter cette hypothèse. Le responsable de Sylvera commente:
« Par exemple, sur une somme de crédits achetés par un acheteur, une partie des réductions d’émissions pourrait rester avec le gouvernement hôte pour être réclamée à ses NDC. »
La tendance des moratoires dans les pays hôtes est récurrente. C’est pour cette raison que les traders de VCM protègent leurs portefeuilles respectifs.
Selon un négociant en carbone basé en Europe:
« Certains clients anticipent le risque que des pays veuillent garder les crédits chez eux et ne pas autoriser leur exportation. […] Les acheteurs doivent comprendre comment diversifier la géographie de leurs portefeuilles. »
Ainsi, les VCM entrent dans une période potentiellement mouvementée, malgré la hausse observée en 2021. Il faut donc, développer de nouveaux outils de couverture pour rassurer les investisseurs.
Illustration par Abscent