Avec plus de la moitié d’habitants sans accès à l’électricité, le continent africain est à la croisée de chemins pour choisir comment alimenter son développement en énergie, explique dans un entretien à l’AFP le directeur de l’ONG PowerShift Africa, Mohamed Adow.
De plus, à l’heure où le monde riche cherche des alternatives face à la crise énergétique causée par la guerre en Ukraine, ces choix auront des conséquences mondiales.
Le climat, un enjeu mondial
Question : Selon vous, les pays développés ont une “dette climatique” envers le reste du monde.
Réponse : Leur prospérité a été subventionnée par le reste du monde, puisqu’ils ont pollué sans en subir le prix. L’Afrique représente 17% de la population mondiale mais seulement 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et 0,5% des émissions historiques. Le continent émet moins d’une tonne de CO2 par an par personne, contre sept en Europe ou en Chine, 15 aux États-Unis.
Si le continent le moins développé doit passer l’étape des énergies fossiles pour aller directement aux renouvelables, les pays riches doivent payer cette dette.
Q : En quoi les choix de l’Afrique auront-ils des conséquences mondiales ?
R : Mon continent est à un croisement, avec deux futurs possibles. L’Afrique peut devenir un leader des énergies propres avec une production de renouvelables décentralisée favorisant une société plus inclusive et une économie plus verte, ou elle peut devenir un grand pollueur avec des actifs bloqués et de l’instabilité économique.
Q : L’envoyé spécial américain pour le climat dit que le changement climatique en Afrique pourrait avoir pour conséquence “des millions de gens cherchant un endroit pour habiter”.
R : Absolument. Il est important d’admettre que les migrations climatiques sont une menace. Les impacts climatiques augmentant, les populations en Afrique, où quasiment toute l’agriculture repose sur la pluie, seront obligées de quitter leurs terres.
Dans les pays riches on considère surtout cela comme une question de sécurité, mais c’est un désastre humanitaire. La seule manière de prévenir les migrations climatiques est de réduire les émissions à l’échelle nécessaire.
L’impact de la guerre en Ukraine sur le continent africain
Q : La guerre en Ukraine a-t-elle une influence sur le développement énergétique en Afrique ?
R : Pour assurer sa sécurité énergétique après l’invasion russe, l’Europe pousse l’Afrique à mettre ses ressources limitées dans le développement de l’extraction gazière, principalement à destination des consommateurs européens.
Le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé le mois dernier lors d’une visite au Sénégal que son pays voulait participer de façon intensive à des projets autour des ressources en gaz du pays.
L’Europe veut ainsi désormais enfermer l’Afrique dans des infrastructures d’énergies fossiles dont nous savons qu’elles seront obsolètes dans quelques années, sans compter le mal qu’elles feront au continent. Car ne l’oublions pas, le gaz africain causera autant d’émissions que le gaz russe.
Quel développement énergétique en Afrique ?
Q : Quel est le rapport de force en Afrique entre les partisans des énergies fossiles et ceux qui veulent passer directement aux renouvelables ?
R : Je pense que la majorité des pays africains comprennent l’opportunité immense que représentent les renouvelables, en matière d’emploi, d’innovation, de réduction de la pollution et d’industrialisation durable.
Mais cette majorité est encore silencieuse et n’a pas fait entendre sa voix morale en faveur d’une Afrique plus propre et soutenable. Il y a des pays leaders, comme le Kenya, qui est déjà à 90% de son énergie d’origine renouvelable et a fixé l’objectif de 100% d’ici 2030.
Q : Les milliards nécessaires ne pourront pas venir que de fonds publics, comment mobiliser l’argent privé ?
R : Il faut penser à la sécurité à long terme des investissements en Afrique. C’est le continent où il est le plus coûteux d’obtenir des prêts ou des crédits. Il faut des assurances crédit des institutions internationales pour faciliter l’investissement dans les renouvelables.
Mais il faudra l’effet de levier des financements publics. Et il faut débloquer les sources africaines. Mais il y a la question de la dette. Si nous pouvions échanger une partie de cette dette pour les investissements dont l’Afrique à besoin, ça pourrait faire une vraie différence.