Supprimer les « droits à polluer » gratuits des industriels, faire payer les émissions liées au chauffage et aux voitures, aider les exportateurs…
D’âpres négociations s’engagent pour finaliser une vaste réforme du marché carbone européen sans plomber ménages et entreprises.
Pour couvrir leurs émissions de CO2, les producteurs d’électricité et industries énergivores (sidérurgie, ciment…) dans l’UE doivent aujourd’hui acheter des « permis de polluer » sur le marché européen des quotas d’émissions (ETS), créé en 2005 et qui s’applique à 40% des émissions du continent.
La réforme à multiples volets proposée en juillet 2021 par la Commission européenne, au cœur de son plan climat, vise à accélérer la diminution des quotas proposés, mais surtout à étendre le système tous azimuts.
Les négociateurs du Parlement européen et des Etats membres de l’UE ont déjà finalisé l’extension du marché carbone au transport maritime et la fin des quotas gratuits alloués aux compagnies aériennes.
Ils ont également adopté mardi une « taxe carbone » aux frontières de l’Europe, pour faire payer, dès 2026 ou 2027, à certaines importations industrielles (acier, aluminium, ciment, engrais, électricité, hydrogène) les émissions liées à leur production.
Mais des points cruciaux risquent de faire dérailler l’ultime round de pourparlers.
« Carburant et chauffage »
C’est le point le plus controversé: la Commission proposait de créer un second marché du carbone (ETS2) pour le chauffage des bâtiments et le carburant des voitures et camions.
Les fournisseurs de fioul domestique, et carburants devraient y acheter des quotas pour couvrir leurs émissions de CO2.
Effarés par l’impact social du surcoût pour les ménages, les eurodéputés proposent de limiter d’abord le mécanisme, à partir de 2025, aux immeubles de bureaux et aux poids lourds.
Mais les Etats, bénéficiaires des recettes attendues, soutiennent le projet initial et veulent l’appliquer aux particuliers dès 2026 ou 2027.
Aucun compromis n’émerge, même si les eurodéputés pourraient envisager l’extension aux ménages sous de strictes conditions: prix du CO2 plafonné, « frein d’urgence » pour les périodes où flambent les prix des hydrocarbures, et entrée en vigueur après 2028. Mais l’obtention d’une majorité au Parlement s’avèrera complexe.
En cas de blocage, le sujet pourrait être repoussé à 2023.
Fonds social
Pour soutenir ménages et entreprises vulnérables, Bruxelles propose un « fonds social » alimenté par les recettes du marché carbone « carburant et chauffage ».
Paralysés par leurs divisions sur l’ETS2, eurodéputés et Etats s’opposent sur le calendrier de lancement du fonds, l’origine des financements et l’enveloppe globale.
Un ETS2 s’étendant aux ménages « ne serait acceptable qu’avec une véritable compensation: un fonds social renforcé et lancé dès 2024 », insiste l’eurodéputé écologiste Michael Bloss.
Quotas gratuits
À mesure que montera en puissance la « taxe carbone » aux frontières, l’UE supprimera progressivement les quotas d’émission gratuits alloués jusqu’ici aux industriels européens pour leur permettre d’affronter la concurrence extra-européenne.
L’équivalent de 98,5 milliards d’euros leur a été distribué entre 2013 et 2021, selon le WWF.
Leur suppression est cruciale: en traitant à égalité importations et production locale, Bruxelles estime rester dans les clous des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et contrer les accusations de protectionnisme.
Mais le rythme de suppression des quotas gratuits reste âprement débattu.
Les Etats veulent une élimination très graduelle entre 2026 et 2035.
Les eurodéputés veulent commencer en 2027, mais très prudemment pour s’assurer que le mécanisme aux frontières fonctionne, puis sabrer 50% des allocations gratuites en 2030, avant leur disparition complète dès 2032.
Aides à l’exportation
Les eurodéputés veulent que les sites industriels européens continuent de recevoir des allocations gratuites pour leur production destinée aux exportations vers des pays hors-UE sans tarification carbone comparable, et en contrepartie d’investissements pour se décarboner.
Des conditions qui rendraient ce soutien compatible avec l’OMC, estiment-ils, tandis que les Etats restent hostiles à tout « rabais à l’exportation ».
« Nous n’avons aucun dispositif pour nous assurer qu’une entreprise qui investit pour décarboner ne se trouve pas défavorisée sur le marché mondial », plaide Pascal Canfin, président de la commission Environnement au Parlement.
Selon plusieurs sources parlementaires, la flambée des prix de l’énergie et le plan de subventions massives aux Etats-Unis, qui plombent la compétitivité des entreprises européennes, pourraient amener les Etats à infléchir leur position et à accepter le principe d’un soutien aux exportateurs, même « s’il paraît techniquement impossible de trouver la formule magique ce week-end ».