L’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) a rendu un avis favorable sous conditions sur la demande d’autorisation de création de Cigéo, le centre de stockage géologique des déchets radioactifs français. Ce signal technique marque une étape structurante dans la politique de fin de cycle du nucléaire français, en validant le principe d’une mise en œuvre progressive du projet tout en appelant à des compléments ciblés sur plusieurs points de sûreté.
Un verrou réglementaire levé pour la filière
Porté par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), Cigéo doit accueillir les déchets de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL) produits principalement par Électricité de France (EDF), Orano et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). L’avis de l’ASNR lève un obstacle réglementaire majeur, réduisant le risque pour les producteurs, dont les charges de long terme sont conditionnées à la stabilité juridique du projet.
Le stockage géologique profond est inscrit dans la loi comme unique solution pour ces déchets. Il constitue désormais un maillon indispensable du programme de relance du nucléaire, en cohérence avec la loi de juin 2023 sur l’accélération de la construction de nouveaux réacteurs EPR2. Sans Cigéo, la crédibilité du modèle industriel français à l’échelle européenne aurait été fragilisée.
Des conditions techniques et un pilotage sous haute surveillance
L’ASNR impose néanmoins plusieurs exigences sur des points techniques sensibles, notamment la maîtrise des risques d’incendie, la gestion des colis bituminés, la corrosion des conteneurs et la performance des scellements. Ces réserves devront être levées dans la phase pilote industrielle prévue par la loi avant tout déploiement à grande échelle.
Le coût du projet, actualisé en mai 2025, est estimé entre EUR26.1bn et EUR37.5bn ($28.3bn–$40.7bn) sur cent cinquante ans. Ce montant intègre conception, exploitation, maintenance et fiscalité. Sa soutenabilité repose sur les provisions constituées par les producteurs de déchets, mais la Cour des comptes a appelé à créer un fonds dédié et à clarifier les mécanismes de financement d’ici 2027.
Une dynamique locale sous tension
Les collectivités des départements de la Meuse et de la Haute-Marne sont financièrement intégrées au projet via les mécanismes de soutien et les dispositifs de développement économique. Cette dépendance renforce leur engagement mais limite leur marge de manœuvre, dans un climat local marqué par une opposition persistante et structurée.
L’avis de l’ASNR sera intégré au dossier soumis à l’enquête publique prévue en 2026, première étape d’une séquence qui pourrait conduire à un décret d’autorisation d’ici 2028. D’ici là, les risques contentieux restent élevés, notamment sur la proportionnalité des réponses techniques aux incertitudes et sur la participation effective du public aux décisions.
Une portée industrielle et géopolitique élargie
Pour l’industrie nucléaire, Cigéo représente une commande publique étalée sur plusieurs décennies, mobilisant les filières du génie civil spécialisé, de la robotique, de la ventilation, des matériaux et des systèmes de contrôle. Les entreprises concernées bénéficient d’une visibilité rare, mais tout retard pourrait entraîner des effets en chaîne sur les coûts de démantèlement, les tarifs de l’électricité et la stratégie d’export des réacteurs français.
Au plan international, la France rejoint la Finlande et la Suède dans le cercle restreint des pays disposant d’un projet de stockage profond avancé. Cette position conforte sa diplomatie industrielle autour de l’énergie nucléaire, dans un contexte de tensions sur les matières premières critiques et de concurrence technologique européenne.