La montée en puissance de la Chine dans l’industrie des panneaux photovoltaïques (PV) bouleverse les équilibres économiques et géopolitiques mondiaux. En consolidant sa position de leader avec plus de 80 % de la production mondiale, la Chine force les grandes économies à repenser leurs stratégies industrielles et commerciales. Ce contexte alimente des tensions tout en remodelant les chaînes d’approvisionnement.
Une domination chinoise enracinée dans des avantages structurels et stratégiques
Depuis les années 2000, la Chine a déployé une stratégie industrielle exceptionnelle pour s’imposer dans le secteur photovoltaïque. Les clusters industriels, combinant production intégrée et logistique optimisée, ont joué un rôle clé dans cette ascension. Ces clusters rassemblent toutes les étapes de la production, du polysilicium aux modules finaux, créant ainsi des économies d’échelle qui réduisent les coûts.
Les fabricants chinois bénéficient également de politiques de soutien au niveau local, notamment des subventions directes, des terrains à prix réduit et des prêts préférentiels. En combinant ces avantages avec une infrastructure avancée, la Chine a permis à ses entreprises de produire à des coûts considérablement inférieurs à ceux des concurrents occidentaux.
La maîtrise technologique renforce cette domination. Les fabricants chinois, comme LONGi et Trina Solar, investissent massivement dans des technologies avancées, notamment les cellules à contact passivé par oxyde tunnel (TOPCon), qui augmentent l’efficacité des modules tout en abaissant leurs coûts. Ces avancées technologiques placent les entreprises chinoises en tête de l’innovation mondiale.
Les limites des politiques protectionnistes occidentales
Face à la montée en puissance de la Chine, les États-Unis et l’Union européenne ont introduit des politiques protectionnistes. Dès 2012, les États-Unis ont imposé des droits antidumping et antisubventions pour limiter les importations de panneaux chinois. En 2018, des tarifs supplémentaires ont été appliqués, suivis en 2022 par l’Inflation Reduction Act (IRA), qui propose des subventions couvrant jusqu’à 30 % des coûts d’investissement dans la production locale.
Cependant, ces initiatives ont montré leurs limites. Les coûts de fabrication aux États-Unis restent environ trois fois plus élevés que ceux des produits chinois. Par ailleurs, les fabricants chinois ont rapidement adapté leurs chaînes d’approvisionnement. En délocalisant une partie de leur production en Asie du Sud-Est, notamment en Thaïlande, au Vietnam et en Malaisie, ils contournent efficacement les barrières commerciales américaines. Ces pays sont devenus des hubs majeurs pour le réassemblage de modules solaires destinés aux marchés occidentaux.
En Europe, les politiques protectionnistes ont également échoué à revitaliser l’industrie locale. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) impose des taxes sur les intrants comme l’aluminium, mais son impact direct sur les équipements solaires reste limité. Les tarifs douaniers européens, introduits en 2012, ont été supprimés en 2018 pour stimuler les installations solaires. Cette décision a renforcé la domination des produits chinois sur le marché européen.
Une surcapacité et ses implications mondiales
La surcapacité de production chinoise représente un défi majeur pour l’industrie mondiale. La Chine produit bien plus que ce que son marché intérieur peut absorber, inondant ainsi le marché mondial avec des produits à bas prix. Si cette dynamique permet d’accélérer l’adoption de panneaux solaires dans de nombreux pays, elle menace les industries locales dans les pays dépourvus de barrières tarifaires.
L’Union européenne en est un exemple frappant. L’abandon des tarifs douaniers en 2018 a facilité l’accès à des produits chinois bon marché, mais au prix d’une contraction de sa propre industrie manufacturière. En revanche, les États-Unis, en maintenant des barrières tarifaires strictes, ont dû compenser avec des subventions prolongées, ce qui alourdit considérablement les coûts pour les consommateurs et les gouvernements.
La fragmentation des chaînes d’approvisionnement
La géopolitique joue un rôle clé dans la reconfiguration des chaînes d’approvisionnement. Les restrictions américaines sur les produits liés au travail forcé dans la région du Xinjiang, principal fournisseur mondial de polysilicium, ont entraîné des perturbations majeures. L’Uyghur Forced Labor Prevention Act (UFLPA), adoptée en 2021, interdit l’importation de produits associés à cette région. Cette législation a contraint les entreprises à revoir leurs sources d’approvisionnement, créant des retards et augmentant les coûts.
En réponse, les fabricants chinois diversifient leurs sites de production. En plus de l’Asie du Sud-Est, des investissements massifs sont réalisés au Moyen-Orient, où les infrastructures modernes et les coûts énergétiques attractifs attirent les producteurs. Cette fragmentation croissante complique cependant la logistique et augmente les délais de livraison pour les marchés occidentaux.
Une transition vers de nouvelles normes commerciales
Outre les tensions géopolitiques, des normes commerciales émergent pour redéfinir les conditions du commerce mondial. En Europe, le mécanisme d’ajustement carbone et des exigences strictes en matière d’empreinte carbone deviennent des critères essentiels pour les marchés publics. Ces nouvelles règles excluent de facto de nombreux fabricants chinois, incapables de fournir des preuves conformes.
Ces normes commerciales créent des barrières supplémentaires pour les fabricants chinois, mais leur impact à long terme reste incertain. Si elles encouragent une production plus responsable, elles risquent également d’augmenter les coûts pour les consommateurs finaux et de limiter l’accès à des panneaux solaires abordables.
Des perspectives incertaines
Alors que les tensions commerciales persistent, l’industrie solaire mondiale évolue dans un environnement incertain. La Chine conserve un avantage compétitif grâce à ses capacités de production et à ses innovations technologiques. Cependant, la pression croissante des réglementations occidentales et des politiques protectionnistes pourrait limiter sa domination à long terme.
De leur côté, les pays occidentaux doivent trouver un équilibre entre réduction de leur dépendance vis-à-vis de la Chine et maintien de la compétitivité économique. Les subventions actuelles, bien qu’efficaces à court terme, nécessitent une stratégie de long terme pour assurer la viabilité des industries locales.